RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

L’entomologiste, l’épingle et le papillon

dimanche 10 janvier 2016 par Laurent Gonzales

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Illustration : Corine Sylvia Congiu - 2016

Le réveil sonne. George se réveille, éteint son réveil, se lève. Il passe par la salle de bains puis prépare son petit déjeuner. (Un grand bol de café, trois biscottes beurrées et « confiturées » de fraise.) Il débarrasse la table. (Vaisselle dans l’évier, un peu d’eau, il fera la vaisselle en rentrant le soir). Toilette rapide dont brossage de dents. Habillage. Consultation de son ordinateur. (Quelques emails sans importance et rien de neuf sur facebook.) George enfile ses chaussettes. (Il aime rester le plus longtemps possible pieds nus sur la moquette.) Puis ses chaussures.
Après avoir fermé la porte, il descend à pied les trois étages. (Le soir, il les remonte de même sauf quand il est chargé de provisions.) Dans sa rue (la rue Mangin) il prend à gauche pour rejoindre le boulevard Victor Hugo. Il traverse l’avenue, tourne à droite. S’arrête à la boulangerie-sandwicherie pour réserver sa baguette du soir et s’acheter son repas de midi. Sandwich thon-mayonnaise, mini paquet de chips goût barbecue, coca zéro. (On se demande bien pourquoi « zéro » avec toute cette mayonnaise et les chips.) (Chut ! Pas de commentaire.) (Oui, mais tout de même.) (Ça suffit.)
Le bus 43, prévu à 7h54, arrive avec deux minutes de retard. (Seulement.) Quatre arrêts plus loin, George descend du bus (arrêt « Zola / Clémenceau »). Ligne D du tram, direction « Z.A.C. trois vallées ». Il finit son parcours à pied dans la zone commerciale. (Au bout de l’hypermarché « Carrefour », il longe la « Halle aux chaussures », puis « aux vêtements », traverse en diagonale le parking du « Go Sport ».)
George arrive devant le magasin « Computer Discount » dont il est le gérant (avec un associé et ami : Charles). Ils sont spécialisés dans la vente de matériel informatique, les assemblages d’ordinateurs sur mesure, la maintenance informatique. George ouvre le magasin. (Rideau de fer et portes vitrées.) Charles n’arrive qu’à dix heures mais il fait la fermeture jusqu’à vingt heures. (George lui, quitte le travail vers dix-huit heures.)
Ce matin, sept clients. (Dont deux réclamations qui ne rapportent rien, merci bien). Par contre, une cliente mignonne. (« CAROLINE TISSEGNE » George a-t-il lu en majuscules sur sa carte bleue.) Petite brune, toute fine, cheveux courts et bruns, grands yeux bruns de type « espiègles », jolie robe rouge légère. (Sac à dos crado par contre.)
Elle n’y connaissait rien en ordi. George croit qu’il l’a épatée. Elle a déposé son ordinateur en panne. Il lui propose de revenir le chercher « Ce soir ? Ou demain, peut-être ? Ou après-demain ? Si vous n’avez pas le temps demain. » (« Ah mais non, c’est super urgent. J’en ai besoin le plus vite possible... J’ai tous mes cours dedans. »)
De toute façon, il croit avoir déjà repéré la panne. La batterie à changer, ce n’est rien. Il a rassuré la cliente sur la sauvegarde des données : « Vous n’aurez rien perdu et si le système d’exploitation ne boote plus, on peut toujours récupérer le disque dur ou son contenu. » (Elle le regarde avec des yeux ronds.) (Très beaux par ailleurs.) George téléphone à Charles et lui donne la référence de la batterie (Toshiba CX234-UV897). Si leur grossiste l’a en stock, Charles la récupérera avant d’arriver au magasin. (Il vient au travail en voiture.)
Après son départ, George se dit qu’il devrait « essayer quelque chose » avec « CAROLINE TISSEGNE ». L’inviter à boire un café dans la galerie marchande ? Lui proposer des mises à jour pour son ordi ? (Il s’imagine : « Mais alors, il faudrait que je le garde quelques jours de plus, si vous me donnez votre téléphone (astuce !), je peux vous appeler quand c’est prêt. C’est l’affaire de deux ou trois jours pas plus. Après il marchera bien mieux. ») George va y réfléchir. (Il est bête, il a déjà le téléphone de sa « bien charmante cliente » sur la fiche de réparation de son Toshiba.) (Un vieux tromblon.)
Il est bien trop timide avec les femmes en général. (Il n’osera pas.) (On verra bien.) (J’y crois pas une seconde.) Pour l’appeler, il pourrait aussi prétexter de lui proposer un disque dur externe pour sauvegarder ses cours ? Elle risque de tout perdre en ne faisant pas de sauvegarde. (Ceci dit, elle a déjà tiqué pour le prix de la batterie.) (54,65 euros tout de même). Mais il lui fera une super promo. (Ne pas le dire à Charles.)
Charles arrive à onze heures trente. Par contre, il n’a pas la batterie, il l’a « commandée pour cet aprèm ». Il en a profité pour acheter d’autres composants mais George s’en fiche. Il est frustré. Il aurait tellement aimé appeler « CAROLINE TISSEGNE » pour lui faire plaisir et lui dire qu’il avait déjà sa batterie. (D’une voix mâle d’expert, il s’y était déjà préparé.) « Zut ! Et si je proposais à Charles d’emprunter sa voiture pour aller chercher la batterie cet après-midi ? Non, il va poser des questions. J’espère qu’elle ne sera pas trop déçue. » (Eh si ! Elle le sera !)
Midi. Pause déjeuner. En silence, devant leur écran respectif, Charles et George travaillent sur des mises à jour d’ordinateurs de clients, surfent sur le net, répondent à des mails. L’après-midi est calme, neuf clients, chiffre d’affaires de la journée : 565,80 euros. (À dix-huit heures quand George quitte le magasin). Juste avant de partir, il a appelé le grossiste qui lui a confirmé qu’il avait bien reçu sa batterie et qu’il allait lui mettre de côté pour demain matin. (George a tanné Charles pour qu’il N’OUBLIE SURTOUT PAS la batterie du Toshiba, DEMAIN.) Ensuite, il a quand même osé appeler sa « si sympathique cliente au vieux Toshiba ». Elle n’avait pas encore appelé parce qu’elle pensait passer le soir. (On résume le coup de fil : « Demain sûrement... sans faute... Passer après onze heures... »)
À dix-huit heures donc, retour de George chez lui par le même itinéraire. (Via un détour par le « Carrefour » pour faire quelques courses.) Dans le bus, il s’imagine préparer un bon repas, chez lui, à « CAROLINE TISSEGNE ». Du coup, à la descente du bus, il en oublie sa baguette à la boulangerie-sandwicherie et doit faire demi-tour au feu, juste avant de traverser le boulevard Victor Hugo. (Quel étourdi !)
Il rentre chez lui, se déchausse. (Ses orteils se dégourdissent dans les fibres de la moquette). Il prend une douche. (Il commence à faire chaud, c’est bientôt l’été.) Se met à l’aise. (Short, tee-shirt.) Il prépare son repas. (Tagliatelles au saumon frais, sa spécialité, pour épater une éventuelle « CAROLINE TISSEGNE », un jour.) Il mange devant la télé. (« C à vous », « le Grand Journal », puis « Prison Break saison 4 ».) (Trois épisodes.) (Téléchargés illégalement soit dit en passant.) (C’est pas bien.) George se couche vers vingt-trois heures.

***

Le réveil sonne. Caroline se réveille, éteint son réveil, se rendort. Elle n’a pas cours aujourd’hui. Et puis elle s’est couchée tard la veille. (Pourquoi a-t-elle accepté d’aller au « Glasgow » avec Amélie et Fairouz après le film ?) (Mauvais film en plus. La soirée était mal partie depuis le départ et le « Glasgow » c’est nul, elle n’y mettra plus les pieds.) (Jusqu’à la prochaine fois, on la connaît). Réveil cotonneux vers huit heures trente. Douche. Café fort sans sucre. Elle ne mange rien. (Le « Big mac » de la veille lui est resté sur l’estomac.) (Promesse de régime.) (Elle s’alimente mal, c’est pourtant important le petit déjeuner.) (Non mais de quoi je me mêle ?!)
Elle finit d’émerger quand elle se rappelle que son ordinateur portable ne marche plus depuis la veille. Elle s’était promis de se lever tôt pour aller le porter à réparer. (Chez « Computer Discount », près du « Carrefour » lui a recommandé Fairouz.) Mince, il est déjà neuf heures. Elle s’habille en toute hâte. Elle ne peut pas vivre plus de quelques heures sans son ordinateur. (« Trop la galère, j’espère qu’ils pourront me le réparer. Au moins sauver les données. »)
Caroline prend son sac, vérifie qu’elle a sa carte bleue. Prend les clés de sa voiture. (Elle n’a presque plus d’essence, faudra qu’elle en « fasse au Carrefour », faudra aussi qu’elle remplisse son frigo, se dit-elle). Elle descend à pied les deux étages. Quand elle arrive au rez-de-chaussée, elle remonte chez elle pour récupérer son ordinateur en panne. Elle l’avait oublié. (Quelle étourdie !) (Oui bon, ça va.) Elle démarre sa voiture. (Une vieille Clio rouge assez pourrie.) Caroline remonte le boulevard Magenta. Prend à droite, l’avenue Charles de Gaulle pour aller chercher la bretelle d’accès à l’autoroute.
Sur l’autoroute, elle allume la radio (« Rires et chansons » mais c’est de la pub, elle coupe.) (Mal au crâne aussi, la deuxième pinte de « Guinness » de la veille, elle regrette). Elle sort à la troisième sortie : « Z.A.C. trois vallées ».
Elle tourne un peu sur le parking du « Carrefour » avant de repérer les enseignes des « Halles aux chaussures et aux vêtements ». D’après son amie, elle doit y trouver le petit magasin « Computer Discount ». (Enfin Fairouz, c’est tout juste une copine de fac, « elle me gave des fois, Fairouz ».) « Y a le « Go Sport » aussi, tu peux pas le rater » a ajouté la copine.
Ça y est, elle a vu le magasin. Caroline ressort du parking de « Carrefour » va se garer devant l’enseigne aux deux lettres géantes « CD » pour « Computer Discount ». (« Un peu pourrave » se dit-elle).
« Bonjour ? ». Il n’y a personne dans le magasin. Puis un type sort de l’arrière-boutique. Il était assis derrière une vitre, devant un ordinateur. Des tas de carcasses d’ordinateurs et de composants s’amoncellent dans tous les coins. « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » « C’est mon ordinateur, il ne démarre plus ». Le type est mignon, tout pâlot, des lunettes noires en écaille, les cheveux noirs ébouriffés, petite chemisette parme, barbe de trois jours. Caroline se dit qu’elle a bien fait de mettre sa petite robe rouge d’été. (Premiers vrais beaux jours, il fait chaud.)
Le gars est timide. Il pose des questions techniques à Caroline. (Sur l’âge de l’ordinateur, d’un éventuel changement de batterie.) (« Quelle batterie ? » répond-elle, un peu sur la défensive.) Il ouvre l’ordinateur, en sort la batterie qu’il va tester « dans l’arrière-boutique, j’en ai pour quelques minutes. » Caroline flippe devant son ordi ouvert devant elle. (« Comme dans le coma » se dit-elle.) Le « vendeur lunaire » revient comme il l’a promis, deux minutes plus tard. Il lui confirme : « Elle est morte, la batterie. Elle est morte. » Il est désolé. Il est touchant. Il cherche sur son ordinateur le prix d’une batterie neuve. (À l’annonce du prix, elle pense sans le dire : « Cinquante-quatre euros soixante-cinq ! Fait chier ! ») Caroline dit : « Bon ben d’accord ». Donne sa carte bleue pour passer la commande. Elle remplit une « fiche de réparation ».
Elle doit revenir le chercher ce soir ou « demain, peut-être ? Ou après-demain, si vous n’avez pas le temps demain ? » « Ah mais non, c’est super urgent, j’en ai besoin le plus vite possible ! » (« J’ai tous mes cours dedans », ment-elle sans ciller.) « Bon oui… d’accord... Non mais de toute façon, vous l’aurez ce soir ou demain matin, au plus tard. J’appelle mon collègue tout de suite pour qu’il voie s’il peut la rapporter aujourd’hui. »
Le type appelle son collègue. (Un « Charles », c’est quoi ce vieux prénom ?!) Il lui donne la référence. (Toshiba CX234-UV897, pour ce qu’on en a à faire...) Caroline lui fait bien comprendre qu’elle aimerait bien avoir son ordi dans la journée si possible. (« Demain, peut-être » oui, mais « maximum ».) Elle ressort du « Computer Discount ». (Accompagnée d’un « au revoir mademoiselle, bonne journée » : trop « cute » !) Puis elle va faire ses courses. (Elle a encore oublié de faire de l’essence, elle va finir par tomber en panne.)
Caroline rentre chez elle. Joue avec son téléphone portable mais s’ennuie vite. À midi, elle mange une salade toute prête « Sodebo » et trois yaourts aux fruits. (C’est bien la peine.) L’après-midi, elle n’en peut plus de zapper devant la télé. Il faudrait qu’elle potasse ses cours. Ou, pire, qu’elle avance son foutu mémoire. (« Plutôt crever ! ») De dépit, elle prend sa clé USB et descend au cybercafé de la rue des Essarts. (À cent cinquante mètres de chez elle, au plus). D’abord, elle consulte ses mails, sa page facebook, ses tweets mais « Fait chier, tous des cons ».
Alors, elle met sa clé USB dans l’ordinateur et ouvre le dossier « Mes Écrits ». Elle a imaginé ce nom sur le modèle des dossiers Windows : « Ma Musique », « Mes Documents », « Mes vidéos ».
Donc, dans « Mes Écrits », Caroline a sauvegardé tous ses textes. (Les participations aux concours de nouvelles, ses contes pour enfants, ses débuts de romans, les meilleurs extraits de son journal intime.)
Malheureusement, elle n’avait pas fait de sauvegarde depuis longtemps et les dernières moutures des « trucs en cours » sont sur son portable. « J’espère que je pourrai tout récupérer, j’avais bien avancé quand même. »
Cela lui fait repenser à la promesse du « petit vendeur charmant ». Aussi, comme elle ne peut pas avancer ses travaux en cours, elle commence une nouvelle « nouvelle ». Celle, donc, du petit vendeur d’ordinateur plutôt avenant et gentil qu’elle a croisé ce matin. (Même si sans doute un peu trop « geek ».) (« Je vois le genre ! ») Il pourrait s’appeler George, tiens, un vieux prénom comme celui de son copain Charles.
Elle a crédité son compte du cybercafé avec sa carte bleue. Elle est en train de la tripoter et peut y lire son nom écrit en majuscule : « CAROLINE TISSEGNE » (« Caroline-qui-saigne » se rappelle-t-elle. On l’appelait comme ça jusqu’à ses treize ans environ. Les nazes). Elle se dit que « George » a pu y lire son nom. (« Mais je suis conne, je l’ai écrit sur la fiche de réparation aussi. »)
Par exemple, dans sa nouvelle, le fameux « George » pourrait l’appeler maintenant. (Quelle heure il est ? Déjà seize heures !) Il lui dirait que son ordi est prêt. Elle arriverait avant la fermeture, il lui ferait une démonstration du démarrage de son ordinateur. Caroline vérifierait qu’elle a tout dans son dossier « Mes écrits ») (Ah ça ! C’est pas pour les trois cours de socio qui se battent en duel !) (Ok ! Stop !) (Ah ! Ah !)
Ensuite, donc, elle « enchaînerait » avec George : « Merci d’avoir été si rapide et efficace... Pour vous remercier, si j’osais, je vous proposerais une bière bien fraîche à la terrasse d’un café. Il fait chaud non ? ») (Mais elle n’osera jamais, elle fait la maligne comme ça, mais c’est plus facile à écrire qu’à vivre.) (Mais c’est toute l’histoire de sa vie ça !) (La ferme !)
Et Caroline continue à écrire, au cybercafé. Les mots viennent tout seuls. Il est bien ce « George » même s’il a un prénom ridicule. (« Faudra peut-être que je le change ?! ») Et donc bref, elle en était où ? Ah ! Oui : « George l’invite à boire un verre. »
Tiens son téléphone sonne. Il est dix-sept heures quarante-cinq. (Déjà !) Mais c’est lui ! C’est l’hypothétique « George » !
Caroline Tissègne : « Allo ? … Il n’est pas prêt ? Mince. Demain, peut-être ? Non ? Mince ! (Merde oui !) Alors après-demain seulement ?! … Ah ! D’accord ! … Pas « demain, peut-être » : « Demain, sûrement ! » Ah ! Ah ! Ah ! (Rires forcés) (Quel humour de geek de mes deux !) « Oui ! Super ! Vers onze heures... Je passerai. » (Mais il est tellement cool !)
Et Caroline raccroche, un peu déçue forcément, elle se voyait déjà avec son bel ordi flambant neuf et le « George » qui lui propose une pizza au « Pizza Paï » du « Carrefour ».
Bon. C’est pas tout ça. Tant pis. Elle sauvegarde sa nouvelle sur sa clé USB. (Dans deux fichiers différents, elle est contente d’elle, faut pas que ça se perde.) Un « .doc » qui s’appelle « demain, peut-être » et l’autre « l’entomologiste, l’épingle et le papillon ». (Ça sonne bien, non ?) Elle finira sa nouvelle demain, peut-être. (Justement.) Avant, il faut qu’elle voie ce qu’il a dans le ventre ce « George » improbable.
Déjà, est-ce qu’il tiendra sa « promesse de garçon » ? (Ah ! Ah !) (Trop drôle ! « Promesse de garçon = promesse de gascon ») (Pour l’humour, ils vont s’entendre « Caro et Jojo ».) Bon assez rigolé, il a plutôt intérêt à lui avoir réparé son ordi. (Et elle déteste qu’on l’appelle « Caro ».)
Elle rentre chez elle après avoir acheté un kebab. (Maxi frites sauce blanche.) (Cette histoire est une catastrophe diététique, écrira-t-elle demain, peut-être. « Un vrai cauchemar de nutritionniste ».) (Vite écrire cette idée sur un bout de papier pour ne pas l’oublier.) Décidément, elle est contente d’elle. Tiens, elle va appeler Amélie et Fairouz. Elles vont aller à la moules-frites place Jacquard. Après, tant pis, elles vont encore finir au « Glasgow ». (« Je le sens bien comme ça mais tant pis. »)

***

Le lendemain. Il est quand même onze heures quarante-cinq, dixit l’horloge digitale aux chiffres rouges du magasin. George, n’y tenant plus, compose le numéro de téléphone de Caroline. (Pendant la nuit, très agitée pour notre George, elle est passée de « CAROLINE TISSEGNE » à « Caroline » ou « la belle Caroline » ou encore « Caroline la douce ».) Elle avait dit qu’elle passerait demain à onze heures. Pourquoi, n’est-elle pas encore là ? Elle avait l’air pressé pourtant. (« La si jolie demoiselle. ») (Qu’est-ce qu’elle fiche ?)
George a mis son tee-shirt gris un peu moulant col en V qui lui va bien et son jean préféré. À onze heures trente, il a déjà composé huit numéros sur dix mais il a finalement raccroché. (Elle avait dit « À PARTIR » de onze heures. « Je peux lui laisser un petit temps »). Il a réessayé à onze heures trente-huit. (Les dix numéros !) (Quelle audace !) Mais il n’a pas laissé sonner. Là, il n’en peut plus. Il compose le numéro. (Sur son portable, comme ça elle aura son numéro perso.) (Astuce n°2 !)
Et donc, il laisse sonner. Une sonnerie. Deux. Trois. Quatre. (Zut ! Qu’est-ce qu’elle fabrique ?) Elle décroche. « Allo ? » « Oui... Bonjour... Heu… Mademoiselle Tissègne ? (« Mademoiselle », j’adore !) C’est George... (Dire son prénom, ça fait américain et ça crée une intimité, s’est-il dit.) De chez Computer discount. »

***

Réveillée à huit heures, Caroline s’est précipitée tout de suite au cybercafé de la rue des Essarts. Au passage, elle a pris un café dans un gobelet géant en carton et deux muffins dans un café d’une enseigne américaine que l’on préférera ne pas nommer. (Pas de marque !) (Quoi ! Mais tout le reste en est truffé !) (Oui mais bon « Starbucks », faut pas déconner !) Elle a mal dormi cette nuit. (Encore une « Guinness » en trop mais pas que). Elle n’a pas arrêté de penser à sa nouvelle. (La nouvelle de ce « brave petit George ».) Elle a essayé d’écrire au stylo sur du papier mais elle n’y est pas arrivée. (Il lui FAUT son vieux portable.) (« Pourvu qu’il ait mon ordinateur demain, mon petit technicien tout timide »). (Belle allitération en « t », non ?)
Aussi, il faut l’avouer, elle a beaucoup pensé au vrai vendeur. Et donc ce matin, elle est descendue très vite au cybercafé. Par superstition mal placée d’écrivain, elle a repris le même poste (« Ouf ! Il est libre ! C’est bon signe ! »). Elle a ouvert le fichier. Elle en était où déjà ? Ah ! Oui ! « George l’invite à boire un verre. » Et Zou ! C’est parti ! Les doigts de fée de notre Caroline Tissègne volent sur le clavier. Elle se dit : « À dix heures maxi, j’arrête pour être à onze heures pile-poil chez Computer Discount ». Mais les mots viennent et sautent littéralement du clavier à l’écran. Caroline ne voit plus le temps passer.
Son portable sonne. Elle le sort de son sac posé à ses pieds, le regarde (« Merde ! Midi moins le quart ! ») Numéro de portable inconnu. Elle décroche. (« Allo ? ») Avant de répondre, elle a juste le temps d’écrire en quatrième vitesse : « Oui... Bonjour... Heu… Mademoiselle Tissègne ? (« Mademoiselle », j’adore !) C’est George... (Dire son prénom, ça fait américain et ça crée une intimité, s’est-il dit.) De chez Computer discount. »


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