La mythologie, toujours riche d’histoires aussi symboliques que divertissantes, nous raconte qu’Apollon semait des brins de muguet sous les pieds de ses neuf muses pour leur rendre l’ascension du Mont Parnasse plus douce. Je ne convoquerai pas chacune d’elles ici mais j’aime à les imaginer, foulant les clochettes parfumées, regard tourné vers le sommet, porteuses de savoir, de culture, de mémoire.
J’aime aussi imaginer le roi Charles IX, sa tête de Valois souffreteux bien enserrée dans une fraise godronnée, tendant les fleurs inclinées à chaque dame de la cour en pleine Renaissance française. Ou encore le savamment huppé créateur de « Viens Poupoule », Félix Mayol, relançant la mode au XIXe siècle, faute d’avoir trouvé un camélia à glisser à sa boutonnière. Ou encore Christian Dior remerciant chaque 1er mai les petites mains ayant œuvré pour la gloire de son new look.
Bref, je pourrais compiler les légendes, les anecdotes, les explications plus ou moins vérifiées, au sujet de ce porte-bonheur entêtant (en évitant toutefois de m’appesantir sur le choix du Maréchal Pétain) mais, ce qui me captive surtout, c’est ce que le rituel qui l’entoure recèle de troublant, pour ne pas dire de trouble.
Car oui, tout symbole de discrétion, de pureté, de renouveau, qu’il soit, le muguet a la beauté vénéneuse. Chacun de ses composants est un poison. On l’offre pour le bonheur pour l’amour, et il peut se révéler mortel. Fragile et toxique. Parfumé et dangereux. Fleur oxymorique, le muguet est littéraire.
Pour inaugurer le mois de mai, on retrouvera cette ambiguïté dans Agatha, l’étonnant récit de Claude Delaval, où le lecteur risque fort d’être perturbé par une représentation énigmatique de la féminité. En juin, sans rien dévoiler d’une chute pleine de charme, Nomen omen de Laure Pelbois apportera un souffle léger comme une fleur de printemps à l’obsédante question du prénom. Deux textes qui vous guideront jusqu’à l’été.
D’ici-là, l’actualité, le monde, la vie, n’auront pas attendu que nos inspirations se fanent ou éclosent pour les nourrir de contradictions, de pensées claires-obscures, d’espoirs parfois lassés, de fraternité résistante, d’imagination combative, mais, comme le muguet, nous réussirons parfois à neutraliser le poison qui nous menace tous pour laisser se répandre partout où ce sera possible le doux parfum de la grâce.
Le gazon du Parnasse