Léo Lamarche
Je crains fort de décevoir certains, car à la question "Pourquoi écrire des nouvelles ?", je réponds tout bonnement que je n’en sais rien. C’était il y a longtemps déjà, j’ai été happée par le démon du noir et j’ai commencé à écrire... la question de la forme ne s’est même pas posée, c’est venu naturellement. Une tranche de vie sans vrai passé et sans futur évident, une histoire qui tienne en haleine, en quelques milliers de signes seulement, une économie de moyens pour suggérer le maximum en peu de mots... Une évidence, la nouvelle. Pour moi, en tout cas.
Peut-être ai-je le "souffle court" ? Je lis pourtant beaucoup de romans, pour des raisons professionnelles mais, la plupart du temps, les longs scénarii filandreux m’ennuient. J’ai soif de connaître le dénouement. Car c’est là que j’attends l’auteur. À lui, à elle de m’étonner, au sens premier du terme, qui désignait par le passé les gens frappés par la foudre. Par contre, pour les nouvelles, je sais dès le début que la fin est proche, alors je prends le temps de savourer chaque mot, de me laisser bercer par le style, d’attendre l’étincelle. Pour schématiser, le roman, je le dévore, la nouvelle, je la déguste.
Comme j’aime les histoires qui vont droit au but, j’aime ce genre exigeant qui bannit les digressions importunes, qui évoque avec une économie de moyens tout un monde en quelques lignes. C’est ça, la nouvelle, et plus encore, le lecteur n’a pas le temps de se laisser aller aux pensées parasites, emporté par le rythme vers une chute irrémédiable.
C’est peut-être aussi cette idée de chute qui m’a attirée vers la nouvelle - bien noire. Cette idée de "fatum", fatalité tragique qui s’abat tôt ou tard sur chacun d’entre nous. La vie est une nouvelle, pas un roman, elle est si brève... tout passe trop vite. En 20 000 ou même 30 000 signes, notre sort est réglé. Il suffit de choisir, pour le décrire, le moment où tout va basculer, l’instant où le marionnettiste revient de sa pause, reprend le contrôle, agite les fils et fait danser ses pantins de bois et de chiffons. Le rideau se lève. La nouvelle commence.
Thomas Friedland
Nouvelle Donne est avant tout pour moi une manière de conserver un lien avec la littérature, et l’art en général. Ayant opté pour des études d’ingénieur, qui font peu de cas de ce genre de matières, j’ai dû trouver un point d’accroche ailleurs.
Cela dit, ça aurait pu concerner autre chose que la nouvelle. J’écris des poèmes depuis quelques années, mais hormis leur brièveté, ils n’ont pas beaucoup de points communs avec la nouvelle. Je n’en lis d’ailleurs que rarement (outre celles de ND évidemment), même si quelques-unes ont retenu mon attention (à commencer par celles de Sade... à condition d’aimer le genre). Comme beaucoup je pense, je lis plus de romans qu’autre chose.
Quant à l’écriture, il va sans dire qu’il est plus "rapide" d’écrire une nouvelle qu’un roman. C’est un genre efficace pour véhiculer un univers, avec un côté lapidaire qu’on retrouve peu ailleurs. C’est bête à dire, mais le temps (ou en tout cas le mien en ce moment) est une contrainte avec laquelle il faut composer, et la nouvelle (tant pour la lecture que l’écriture d’ailleurs) offre une solution bienvenue.
Dominique Perrut
« Pourquoi écrire des nouvelles ? » Difficile de réagir à votre question sans évoquer mon parcours. J’ai en effet d’abord opté pour d’autres formes d’écriture, le journal personnel, puis le roman, avant d’en venir aux textes brefs. En un mot, les nouvelles ont marqué pour moi une étape, correspondant au désir impérieux de sortir de l’enfermement, du « tunnel du roman ». Mais elles ont répondu aussi à une envie de réagir sans délai à des événements quotidiens. Cela soulève aussi la question de la nouvelle comme modalité particulière d’écriture.
Quelques mots, donc, sur les étapes qui ont précédé les nouvelles. D’abord le journal personnel. Celui-ci a débuté un soir précis, bien après mon adolescence. Dans une chambre sous les toits, devant la fenêtre, face à la nuit, dans un moment de grande précarité, un pénible constat s’est imposé, celui de mon incapacité à mener au jour le jour une entreprise d’écriture. Tu veux être écrivain, et tu n’écris pas ! Combien de temps vas-tu te leurrer ? Cette auto-accusation sarcastique me cinglait. C’est là-dessus qu’a démarré le journal, chaotique et cahoteux. Quelques années après, j’ai voulu rassembler des éléments du journal pour en faire des morceaux d’autobiographie. Très vite, ce faisant, j’ai été confronté à la nécessité de la fiction pour sortir des limites, pour ne pas dire des impasses de l’autobiographie. Deux romans, proches dans leur forme au journal qui leur avait donné naissance, sont nés de cette phase.
Ensuite, l’entreprise du roman-tunnel m’a absorbé pendant de longues années, d’abord avec Patria o Muerte [1], puis avec une autre narration, portant sur un conflit familial surgissant dans le contexte des tensions de 1968. Ces deux romans ont exigé un gros travail d’accès aux archives, de documentation et bien sûr d’élaboration, pas moins de huit années pour le premier.
C’est donc pour sortir de la tour d’ivoire, où le roman m’avait assigné à résidence, que j’ai décidé, en 2017, de m’engager dans la voie de l’écrit bref. Assez vite, la dynamique propre de ce processus a ouvert tout un éventail de possibilités, presque insoupçonnées de moi jusqu’alors.
Ainsi, des scènes de la vie sociale (un piratage informatique, les dérives sexuelles d’une jeune femme), en sont venues à côtoyer des « instantanés », l’écho d’une discussion captée dans la rue, une rencontre avec un SDF… Une formule frappée entendue sur les ondes, parfois sidérante, a pu déclencher de petites notations sur "les maladies de la pensée". Des chroniques sur des livres qui m’ont marqué, ou sur un thème tel que le deuil, ont aussi fait leur apparition [2]. De temps à autre j’ai aussi été saisi par un mouvement d’humeur me conduisant à publier un petit billet, pour réagir aux dernières statistiques de la Covid, à la réaction boutiquière d’un syndicat patronal, ou encore au propos ambigu d’un ministre à propos de l’inceste.
Même très travaillé, le texte court est en général élaboré dans un temps limité, et réagit souvent à une situation vécue, immédiate. On peut en faire lire une première mouture à des complices, et sa communication, même à toute petite échelle, sur les réseaux sociaux, par exemple, permet des retours rapides. À l’opposé du roman qui, à beaucoup d’égards, isole l’auteur, l’écrit court devient un vecteur de mise en relation, de socialisation. En un mot, il s’agit d’une écriture plus légère, et plus ouverte sur des échanges.
Par ailleurs, ce type d’écrit, aussi bref soit-il, même une demi-page, même un seul paragraphe, pose toujours un défi stimulant : il exige un choix de narration. Quelle mise en scène vais-je adopter ? Quelle voix choisir entre le « je », le « tu », ou encore le « il » ? Quelle attaque privilégier ? Faut-il opter pour un récit linéaire, chronologique, ou bien pour une mise en scène démarrant par un flash-back ? Ou encore deux récits portés par deux voix entrecroisées ? Cela devient vite plaisant, ludique (un mot inimaginable pour moi auparavant) car les enjeux cessent d’être décisifs, dramatiques. C’est un exercice d’essai-erreur, on gomme, on change de point de vue… Je n’y ressens pas, à la seconde, en envisageant une modification dans la conduite de la narration (opter pour un changement du « je » en « tu », par exemple), cette chape de plomb qui tombe sur mes épaules, à chaque remise en cause à l’intérieur d’un roman, dans l’anticipation du supplément de besogne à fournir.
Tenant compte du contexte éditorial, qui me paraît calamiteux pour un écrivain non installé, je m’oriente désormais, dans le prolongement des textes courts, vers une voie moyenne : celle des romans courts, ou des longues nouvelles. Il s’agit-là de garder la posture trouvée dans la pratique des écrits brefs, pour la transposer à des textes un peu plus longs. On reste là dans des temporalités d’élaboration qui sont, sinon les mêmes, du moins pas trop différentes de celles des nouvelles : le travail s’y compte en mois et non plus en années !
Dans ce sens, j’ai terminé récemment un petit roman d’une grosse centaine de pages. Celui-ci porte sur quelques ennuis urologiques bien connus des hommes mûrs, qui ont entraîné une courte hospitalisation, après quelques passages aux urgences [3]. Il est maintenant envoyé à quelques éditeurs. La démarche est faite sans trop d’illusions, au vu de la conjoncture. Mais, en tout cas, ce texte, écrit en quelques mois, s’inscrit dans une veine différente, assez gaie et détendue.
D’autres pistes, encore, se font jour, comme celle de recueils de nouvelles, pouvant conduire à des innovations. Je pense surtout à des jeux de mise en écho entre les nouvelles, dans un tel recueil, ou également à l’élaboration d’un genre intermédiaire entre la nouvelle et le roman, où des nouvelles seraient reliées entre elles, comme dans les « romans-nouvelles » de Rétif de la Bretonne [4] ou de Sherwood Anderson [5]. On y retrouve, dans un même contexte, une même atmosphère, certains personnages, d’une histoire à l’autre, au gré d’une intrigue, pouvant rester assez lâche.
Mon incursion dans les écrits courts voulait aussi rompre avec un trait caractéristique de la névrose occidentale, l’obsession de la grande œuvre, idée mortifère s’il en est. Ceci a enclenché un processus porteur d’interactions sociales et d’élargissement à toute une palette de nouveaux registres.
Reste pour finir, la question toute personnelle, des raisons intimes de ces écrits courts. L’une d’elles est sans doute pour moi la quête d’une réponse aux agressions de la vie de tous les jours, face auxquelles la répartie orale est pour moi souvent malaisée. Il peut s’agir d’un mot blessant, d’une scène captée au vol… Face aux situations qui peuvent me laisser sans voix, l’écrit court est un moyen de réagir. « L’écriture est une revanche sur la parole », disait l’écrivain-baroudeur anglais Robin Cook. Oui, revanche, sans doute, sur une parole étranglée, confisquée, quelque part, loin dans mon histoire… mais ces raisons complexes, je ne vais pas les confier ici, ni les démêler… peut-être feront-elles… un jour ou l’autre, la matière d’une nouvelle…
Sophie Germain
Comment en suis-je venue à écrire des nouvelles ? À en lire ? Tout d’abord, comment en suis-je venue à écrire et à lire ? C’est peut-être par là qu’il faut commencer.
Pour inventer. Pour créer des atmosphères. Enfant plutôt calme et solitaire, la simple vue d’un coupe-papier en forme de sabre miniature au manche incrusté de pierreries m’emportait vers des contrées lointaines faites de dunes et de tissus soyeux. Quand on me demandait ce que je pouvais bien faire, là, blottie dans le creux d’un fauteuil, à regarder vaguement devant moi, la légende familiale dit que je répondais : « Je songe » et cela avant même de savoir tracer des lettres sur une feuille.
D’un songe à l’autre, en grandissant, j’ai voulu les écrire. À l’usage de mes camarades de classe. Des histoires de jeunes filles rebelles à l’autorité, fuyant les bals et les promesses de mariage, déguisées en hommes, tenant tête à toute forme d’oppression avec insolence et courage. Des romans, donc. Et j’en ai lu. Beaucoup. Plaquée contre le mur de ma chambre, estomaquée par Balzac, Choderlos de Laclos, Dumas, Scarron, Flaubert, Dostoïevski, Fitzgerald... Mais aussi, et je le revendique bien fort, par la saga Angélique, Les gens de Mogador et autres oiseaux qui se cachent pour mourir. Et même par plusieurs exemplaires de la collection Harlequin sauvés du pilon au rayon librairie du Monoprix dont je tenais la caisse.
Un jour, l’imagination rocambolesque m’a désertée. Plus de parcours initiatique, plus d’intrigues, plus de rebondissements. Je me suis mise alors à écrire « court ». À écrire, tout court. Des brèves. Des instants. Des mots qui sonnent entre eux. De la sensation. Qu’est-ce que c’est ? Aucune idée. Ni journal, ni poèmes, ni récits. Des bouts. Des morceaux. Des messages. Tout sauf des explications.
Plus tard, tentant de faire croire à mon entourage que je poursuivais des études de Lettres, je découvre Borges. Le livre de sable. À la même époque, je tombe amoureuse. J’expérimente. Écrire pour séduire et, si possible, toujours sans s’expliquer. Le format court, nouvelle ou novella, apparaît idéal. Plus besoin de s’emberlificoter avec la cohérence des dates ou des événements dans une histoire romanesque, bienvenue à l’ellipse et à la liberté d’interprétation du destinataire. Il ou elle pourra toujours croire que c’est à lui ou à elle que je m’adresse.
Pourtant, en dehors de quelques pépites – Quim Monzó, Lovecraft – j’en lis assez peu et je reste une lectrice de romans tout en ayant abandonné l’idée d’en écrire un.
Si je dois donner des raisons, il faut les chercher dans le manque d’indulgence. Le format de la nouvelle est si court qu’il ne souffre ni paille ni poutre susceptible d’en défigurer le style, le rythme, l’efficacité et, finalement, peu d’auteurs ont trouvé grâce à mes yeux.
Dit ainsi, il pourrait apparaître prétentieux d’en écrire moi-même. La réalité est pourtant dénuée d’ambition. Le choix d’écrire des nouvelles est probablement un leurre. Écrire court, préférer l’implicite, comme pour masquer mon incapacité à retrouver l’imagination féconde de mon enfance et de mon adolescence.
On m’a dit un jour à propos de quelques-uns de mes textes « On dirait que tu t’excuses d’être là, que tu as peur de nous ennuyer. » et c’est assez juste. Je n’ai pas la prétention d’avoir des choses essentielles à dire ni suffisamment de confiance en moi pour penser que je vais pouvoir divertir ou intéresser sur plusieurs centaines de pages. Alors je joue ma carte encore une fois : la sensation, le mystère, et j’écris court pour que l’on s’interroge longtemps sur ce qui n’a pas été dit.
Anne-Elisabeth Desicy Friedland
J’ai tenu mon journal avec assiduité à partir de mes douze ans et gribouillé quelques poèmes avant de me lancer directement dans la rédaction d’une fiction longue, à savoir un roman terminé à l’âge de vingt ans et un autre écrit dans la foulée. A l’époque, ne pas réussir à les publier m’avait beaucoup déçue. Avec le recul, je comprends que les éditeurs contactés m’aient conseillé de retravailler les textes – c’est ce que j’aurais fait moi aussi !
Je ne suis venue à l’écriture de nouvelles qu’après celle de plusieurs autres débuts de romans ambitieux, à une période où ma vie (très) active me laissait peu de temps pour le face à face avec la feuille blanche. J’y ai découvert un intérêt majeur : obtenir la satisfaction de terminer un texte en quelques jours ou quelques semaines au lieu d’une ou plusieurs années ! Autre intérêt : attaquer la fiction directement au cœur de l’action, pendant un moment bref et intense qui peut laisser ébloui. En résumé, mon ressenti est le suivant : l’écriture ou la lecture d’une nouvelle procurent de la jouissance, alors que celles d’un roman apportent du bonheur (du moins on l’espère).
Si j’aime écrire des nouvelles, je préfère lire des romans, comme apparemment la majorité des Français (pour le malheur de nos éditeurs de nouvelles). J’imagine que cela a à voir avec notre rapport au plaisir : lire une nouvelle, c’est plonger brièvement dans un nouveau monde à chaque fois ; c’est exaltant mais fatigant ! Dans le cas du roman, l’investissement dans l’imaginaire de l’auteur est plus « rentable » et moins frustrant quand la fin arrive.
Est-ce contradictoire de travailler pour Nouvelle Donne dans ces conditions ? Je ne pense pas, car il y a quelque chose de particulièrement excitant à lire les nouvelles reçues et sélectionnées par le comité de lecture : découvrir des auteurs peu ou pas du tout connus, avec une diversité et une richesse d’univers formidables. C’est à chaque fois le plaisir d’une expédition de chasse au trésor !
Brigitte Niquet
Je suis arrivée dans la nouvelle un peu par hasard et, m’y trouvant bien, j’y suis restée. Ayant été rapidement "happée" par Nouvelle Donne, j’y ai consacré tout le temps libre dont je disposais à cette époque, c’est-à-dire pas grand-chose. Le panorama a changé depuis lors, mais la forme courte continue à avoir mes faveurs. J’aime son cadre bref qui oblige à se concentrer sur l’essentiel et je fais mien le credo de Mérimée : "Je hais les détails inutiles".
En tant que lectrice aussi, j’aime les nouvelles, mais j’en lis tant par obligation (pour le Comité de lecture ou pour écrire des chroniques) que je n’en lis plus du tout d’autres. C’est pourquoi mes "vraies" lectures sont pour la plupart des romans.
Corine Sylvia Congiu
J’ai commencé très tard à lire, car j’occupais tout mon temps à dessiner… « Mais c’est une maladie ! » disait ma mère. C’est curieusement une géniale prof d’Histoire en Seconde, qui nous a forcés à lire et faire des fiches sur des romans du 19° pour nous familiariser avec ce siècle au programme : C’est ainsi que j’ai découvert Stendhal, Flaubert, Zola, Maupassant, Balzac, Dostoïevski, Gorki, Gogol, Oscar Wilde… Merci Madame Fogel, merci.
Ensuite est venue la Fac d’Arts Plastiques, où je n’ai lu que des bouquins d’Esthétique et d’Histoire de l’Art jusqu’à l’agrégation, avec au passage quelques incontournables des études d’art contemporain, comme (en vrac) Joyce, Faulkner, André Breton, Michaux, Mishima, Duras, Robbe-Grillet… En gros, je n’ai lu que par devoir scolaire, ce qui n’est pas incompatible avec l’intense plaisir, surtout quand c’est entre un Kant, un Lyotard et un Heidegger.
J’ai commencé à écrire avant de lire vraiment, en fait. D’abord des poésies, vers 16 ans, par pur cri silencieux et secret… Et des lettres, aussi, chaque fois que la parole montrait son insuffisance, chaque fois qu’un mutisme émotif me laissait insatisfaite dans la communication avec autrui. Lettres d’amour, lettres de protestations ou de colère…
Mon premier roman, La libellule, un cri aussi, est né sur une plage où je m’ennuyais : Il a commencé par une nouvelle « La femme arabe », qui ne s’est jamais arrêtée, jusqu’à 400 pages.
Je crois que je n’ai jamais lu de nouvelles (Maupassant, Gogol peut-être ?) avant de lire celles de mon frère Christian. A sa mort, j’ai voulu reprendre son flambeau en rejoignant Nouvelle Donne, pour être plus près de son ciel. C’est seulement là que je me suis mise à lire des nouvelles : cela correspondait au moment où j’ai publié, 30 ans après l’avoir écrit, La libellule, après un long chemin de croix parsemé de découragements, tellement prise ailleurs, dans l’autre parcours du combattant qu’est la peinture. La libellule est une suite de nouvelles d’une page à trois pages. J’en avais d’ailleurs prélevé une pour un concours sur le cinéma (Embellie), le seul auquel j’aie participé dans ma jeunesse.
La nouvelle est donc le premier genre qui m’est advenu intuitivement, spontanément, et au sein du roman même : Une scène, quelques personnages, une ambiance, une chute, une « morale » à cette histoire. Les cinq romans écrits à la suite ont aussi la même structure. Mon premier éditeur, Michel Bernard, m’avait dit que j’écrivais comme un peintre.
Je ne pense pas qu’on puisse répondre à la question Pourquoi on peint, Pourquoi on écrit, sinon par la pure Nécessité intérieure, celle-là même que Kandinsky développe dans ses Écrits sur l’Art, ou Rilke, en substance, dans les Lettres à un jeune poète : J’écris, je peins, je compose des chansons, des musiques, des films, comme je crie ou je pleure, ou je rie, ou je chante… ou bien peut-être pour ne pas pleurer, pour ne pas crier, pour ne pas mourir à petit feu. Parce qu’il m’est absolument nécessaire d’essayer de transformer alchimiquement l’humus en l’or de la création, le périssable en éternité : graver dans le marbre, mourir un peu moins, cette vanité.
J’ai mis en exergue de La libellule, mon premier roman, la phrase de Roland Barthes :
« L’écriture commence là où la parole devient impossible (on peut entendre ce mot : comme on le dit d’un enfant). »
(« Ecrivains, intellectuels, professeurs », in Tel Quel, n° 47, automne 71, p. 3.)
Ce fut aussi le thème de ma Thèse de Doctorat qui s’est intitulée « Les lettres à Zozo ou la parole impossible » : Cette phrase de Roland Barthes a été pour moi une épiphanie, la prise de conscience que la Parole impossible, impossible comme on le dit d’un enfant, était au principe, à l’orée, de toutes mes créations diverses.
Nathalie Barrié
Pourquoi j’écris des nouvelles ? Parce que j’ai toujours aimé lire des nouvelles, de la fiction plus longue et de la poésie, et que la forme courte me convient pour écrire. Katherine Mansfield m’a émerveillée à l’adolescence et je me suis plus tournée vers les domaines anglo-saxon et européen (Kate Chopin, Mansfield, Roald Dahl… Lewis Carroll, Selma Lagerlöf, les contes de Grimm, d’Andersen) et d’Europe de l’Est (Kafka, La métamorphose, Le traducteur cleptomane de Kosztolanyi) que vers Maupassant, trop enseigné à l’école, en fait je n’ai jamais été très branchée par les grands classiques français en prose ; en poésie et en théâtre, si ! Rimbaud et Rostand en tête de liste. Mais Barjavel et Le grand Meaulnes aussi m’ont captivée.
J’aime lire des biographies bien écrites, celles de Maurois (Ariel ou la vie de Shelley, magique !) et de Stefan Zweig (Mary Stuart), mêlées à la grande histoire. Plus récemment, les mémoires de Patti Smith et de Marianne Faithfull m’ont fait rêver. La chanson et la musique me nourrissent, j’ai appris à écrire des textes de chanson. La chanson me ramène à mon frère, à la jeunesse.
J’ajoute que j’ai mieux exploré, ou plutôt picoré dans l’énorme domaine anglo-saxon, en passant les concours de l’Éducation Nationale (CAPES et agrégation d’anglais) : Faulkner (The Sound and the Fury), Hemingway, Defoe (le génial Moll Flanders), Shakespeare qui m’émerveille, Raymond Carver le roi américain de la nouvelle, Mary Shelley et Frankenstein, Fitzgerald et Gatsby le magnifique…
Et par ailleurs, Tchekhov et Ibsen (le théâtre), Dostoïevski, et Tolstoï pour ses nouvelles et pour Anna Karénine (plus que pour Guerre et paix). Le réalisme magique hispano-américain m’a aussi fascinée, avec Vargas Llosa (La tante Julia et le scribouillard) et Isabel Allende. La liberté, l’écriture qui s’échappe vers un ailleurs, comme ce que promet Kafka, malgré l’enfermement qui n’est là que pour mieux suggérer la fuite vers cet ailleurs. La transformation du réel, voire l’étrangeté inhérente au réel.
Et pourtant, j’ai un peu de mal avec la SF mais sans doute que je n’ai pas lu ce qu’il fallait. J’ai besoin d’y croire, sur un certain plan au moins. Je ne crois pas littéralement ce que dit La métamorphose ou Le procès de Kafka, mais il y a derrière un message existentiel, une critique du réel, selon l’expression de Yasmina Reza, une échappée philosophique qui me ravit : tant de liberté d’écriture condensée dans la description minutieuse d’un réel formaté qui perd tout son sens, s’il en a jamais eu. Une telle distorsion, une telle dérision chez Kafka m’émerveille. Choderlos de Laclos et l’entrelacs serré, parfaitement maîtrisé des maillons de ses Liaisons dangereuses m’époustouflent. Un chef d’œuvre absolu, à mon sens. Un roman qui se lit d’une seule haleine, comme j’en trouve rarement. Il illustre parfaitement la force que je souhaite trouver en littérature, en tant que lectrice déjà, au départ.
Mais je n’ai pas réussi à lire 100 ans de solitude de Garcia Marquez. Et j’aimerais mieux connaître Fernando Pessoa et Jorge Luis Borges : ils sont au programme ! Dans mes recherches universitaires traductologiques, j’ai découvert Ulysse de Joyce, sa fantaisie au long cours, son humour, mais je ne peux pas dire qu’il m’ait captivée comme un Laclos ou un Fante. J’y ai pourtant consacré quelques années de Master. Je cherchais la clé de cette œuvre déroutante, sans l’avoir jamais trouvée.
Je n’aime pas tellement l’académisme, qui me semble assez français. Je préfère Alexandre Dumas, par exemple, à Balzac ou à Mauriac. Ceci dit, je sens que j’ai besoin de lire davantage et que ma culture en la matière reste très imparfaite. Heureusement, on n’a jamais fini d’en découvrir ! Je suis une rêveuse, et la lecture est un lieu où le rêve est roi.
Le roman contemporain, il me semble, a tendance à diluer, la nouvelle à condenser. Mais j’ai beaucoup aimé le dernier roman de Chloé Delaume, Le cœur synthétique. Elle ne dilue pas, tient bien le fil du roman. Et elle est drôle ! J’aime les histoires où se mêlent les émotions diverses, le tragique et l’humour. Frank Mc Court, avec Les cendres d’Angela, me semble un modèle du genre. La résilience est une caractéristique que j’apprécie chez un personnage. Dernièrement, Courage, rions, de Sophie de Villenoisy, m’a beaucoup fait rire avec un personnage de loser, un dessinateur en perte de vitesse.
Je n’aime pas me perdre dans la dilution à moins que le roman soit très bien structuré et sache où il me mène. J’adore Anna Karénine, par exemple. Je me laisse assez peu embarquer au long cours, je suis plutôt pour la barque sur les rivières, voire les étangs et les lacs, le cabotage, les embardées qui ne sont pas à l’abri des tempêtes (Le bateau ivre !). Donc les novellas, les romans courts, avec des exceptions bien sûr, et les nouvelles : David Philip Mullins avec Greetings from Below m’a ouvert des horizons. Les histoires de grand large ont bien sûr leur charme… (Jack London). Demande à la poussière est un court roman sublime. Je pense que John Fante a trouvé la clé, qu’il est un maître méconnu chez nous, un peu à l’image de Sherwood Anderson (d’une autre époque) dont j’ai eu le bonheur récent de traduire six nouvelles pour Rue Saint Ambroise.
Pourquoi je lis des nouvelles ? Pour être surprise, pour me laisser bousculer par des choses jamais lues avant. C’est aussi pour cela que j’en écris, pour essayer d’écrire des choses que je n’ai pas encore lues, même si ce n’est pas très original dit ainsi, et me découvrir moi-même. Car en écrivant on se découvre, on frôle ses limites, on sort des choses qu’on n’aurait jamais cru sortir et c’est une aventure excitante. J’aimerais avoir plus de temps pour lire. La lecture nourrit l’écriture, c’est certain. Le rêve aussi. La première nouvelle complète que j’ai écrite, en 2001, Semelles de vent, avait pour sujet mon poète français préféré, Rimbaud. J’ai passé deux semaines avec le poète, pendant une phase de recherches intense, puis avec l’écriture, imprégnée de mon sujet. Jamais je n’oublierai l’intensité de cette expérience. J’ai écrit d’autres nouvelles depuis, mais pas avec une telle fébrilité, dans une telle transe. Un état avec lequel j’aimerais renouer au fil de la plume, quand on sent qu’il y a de la magie dans l’acte de créer. Semelles de vent a été publié 20 ans plus tard chez Antidata, en décembre 2022.
Le traducteur kleptomane du hongrois Kostolanyi m’a ouvert d’autres pistes vers la fantaisie, et vers ce régal de choix que peut devenir un recueil de nouvelles.
Le souffle du romancier, il faut être endurant pour l’avoir. La nouvelle est pour moi un bon moyen d’exercer ma plume sans m’épuiser complètement à la tâche. Un hybride entre le roman et la nouvelle serait mon idéal, mais il faut de la technique et une structure solide. Organiser ses nouvelles en chapitres… Avoir une vision d’ensemble… Lier les nouvelles entre elles (interlinked short stories). Mon modèle en la matière est le nouvelliste David Philip Mullins, que j’ai eu la chance de rencontrer et de traduire à l’unité, dans des revues littéraires comme Rue Saint Ambroise et L’Intranquille. Je regrette que son magnifique recueil, Greetings from Below, ne soit pas publié in extenso en France. On peut d’ailleurs le lire aussi comme un roman.
Jean-Michel Calvez
Fan de science-fiction depuis l’adolescence, j’ai commencé vers 25 ans à écrire des textes d’imaginaire très courts, bien avant l’ère de l’ordinateur à la maison et donc « à la main », m’imposant le principe, à l’image d’une affichette ou d’un flyer, de ne pas dépasser une page. Une contrainte dont je me suis vite débarrassé ensuite pour des textes de longueur plus conséquente. Puis ce fut, dans les années 90, l’expérience formatrice de l’écriture de trois « premiers romans », dont deux sont publiés à ce jour (tous les trois furent pour moi des « premiers romans » car chacun est dans un genre très différent). Malgré cela, je n’ai jamais vraiment cessé d’écrire des nouvelles de plus en plus longues, jusqu’à la novella de 100.000 signes ou un peu plus, principalement dans le genre imaginaire (SF ou fantastique), mais pas seulement, testant aussi le noir, le polar et le mainstream. J’en ai à ce jour près de 250, dont une centaine ont été publiées en anthologies thématiques, revues, en ligne (incluant Nouvelle Donne) et deux recueils. En dehors de Nouvelle Donne (où je suis membre du comité de lecture), je m’occupe aussi de la sélection et la traduction de nouvelles anglo-saxonnes pour le magazine Galaxies (science-fiction), ce qui m’a permis de faire découvrir en France des nouvelles inédites d’auteurs majeurs de la SF contemporaine tels que Mike Resnick (décédé en 2020), d’auteurs inconnus jamais traduits, et d’un futur (ou déjà) auteur majeur de SF, le sino-américain Ken Liu (sept nouvelles inédites de Ken Liu ont été traduites et publiées à ce jour dans Galaxies, et ça n’est pas terminé).
La nouvelle est un fabuleux terrain d’expérimentations sur la forme et la longueur ; quoi qu’on dise, l’amplitude possible est très vaste, entre quelques dizaines ou centaines de signes et 100.000 signes voire plus. Le roman est bien plus calibré et normé sur tous les plans (dont la longueur mini/maxi), y compris sur la forme, car une écriture ou une forme trop expérimentale peut fatiguer le lecteur (et l’éditeur ?) et leur faire lâcher prise, alors qu’une nouvelle permet de tester toutes sortes d’entorses aux règles et usages littéraires classiques, en prenant des risques minimes, car ce qui peut être publié en format court (au sein d’un recueil, d’une anthologie, etc.) ne pourrait pas forcément l’être sur le format long pour les raisons ci-dessus, même s’il existe aussi quelques romans « expérimentaux » sur le fond ou la forme : La Disparition, de Georges Pérec, Manuscrit trouvé à Saragosse, de Jean Potocki, le labyrinthique La maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski, Zone, de Mathias Enard, La danse du fumiste, de Paul Emond, etc.