Plein feu sur un auteur : Jean-Michel CALVEZ

par Léo Lamarche

Nous avons coutume de réserver cette rubrique « Plein feu » à des maisons d’édition. Et pourquoi pas à un auteur ? Nul n’a mérité cette mise en lumière davantage que Jean-Michel CALVEZ, qui a fait partie des pionniers de Nouvelle Donne magazine en 1993 et collabore activement depuis 2013 à Nouvelle Donne version Web en tant que membre du Comité de lecture et chroniqueur de recueils de nouvelles. Est-il besoin d’ajouter qu’il est lui-même nouvelliste ? Bien sûr que non puisque c’est à ce titre que nous avons eu l’idée de lui proposer ce « Plein feu ».
Nous l’avons d’abord interviewé pour qu’il se présente et nous parle de son recueil Manières noires , publié en 2008 aux éditions ActuSF .
Lien vers l’éditeur : http://www.editions-actusf.fr/jean-...

Interview pour Nouvelle Donne

- Peux-tu te présenter, en quelques mots ?

Je suis un ingénieur reconverti depuis 2012 en traducteur technique et littéraire, passionné de littérature : la science-fiction mais pas seulement ! Depuis 1997, j’ai publié 15 romans, principalement en science-fiction (une culture technique aide à imaginer des scénarios et des environnements réalistes), et environ 100 à 120 nouvelles dans les genres fantastique, noir, SF…, en recueils, magazines et anthologies diverses.

- Alors, es-tu avant tout auteur de nouvelles ou de romans ? Quelle est ta préférence ?

Les deux indifféremment selon l’inspiration. Les deux genres ne conviennent pas vraiment aux mêmes scénarios ; c’est une question d’adaptation au besoin, car les sujets complexes à fort développement (en volume et en idées à inclure) ne peuvent tenir sur le format court, en plus de tout ce qui se dit ou se théorise sur le genre court et sur les façons de l’aborder (chute, unité de temps et de lieu, etc.). J’ai commencé par la nouvelle, j’en ai écrit environ 200 à 250 et, quoi qu’il en soit, cela reste un excellent entraînement à la forme longue… et réciproquement, car aucun de ces deux genres n’est « mineur » ni plus important que l’autre à mes yeux. Cela, les auteurs et lecteurs anglo-saxons l’ont bien mieux compris – et mis en pratique – que le lecteur français.

- Quelle est l’origine du projet de recueil qui allait devenir Manières noires  ?

Jérôme Vincent, éditeur d’ActuSF, m’a contacté fin 2007 car il voulait absolument constituer un recueil en écho à l’un de mes textes, « Dernier souffle », qui venait d’être nominé au GPI 2007 (Grand Prix de l’Imaginaire). La sélection des six autres textes s’est faite avec lui pour constituer un recueil à la fois thématique et aux ambiances diversifiées entre fantastique classique à la Maupassant ou Edgar Poe et textes plus contemporains par leur approche.

- La thématique du recueil est donc la mort ?

Oui, mais sous l’angle et l’approche irrationnelle qu’autorise le genre fantastique, rien à voir avec les textes noirs proches du polar, malgré le visuel et le titre très connotés du recueil. Ce thème a été proposé par l’éditeur, lorsqu’il a découvert le texte-phare, je parle de « Dernier souffle » qui a lancé ce projet. Le reste du recueil est composé de textes déjà écrits à cette date mais restés inédits.

- Dans ce cas, si la mort en est le fil rouge, quelle est l’explication du titre du recueil, intéressant voire intrigant, mais somme toute assez bizarre, voire incongru ? Un jeu de mots ?

Même pas ou pas tout à fait. Ce titre Manières Noires est un clin d’œil assumé au genre noir contemporain (où la mort est aussi un sujet central), et s’appuie sur la « manière noire » (titre de l’un des textes). Un terme du XVIIème siècle désignant une technique de gravure inversée en négatif, la pointe sèche dégageant le trait blanc sur un fond noir comme sur une carte à gratter. La couverture noir / blanc / rouge, un peu en marge des codes visuels habituels au genre fantastique, en est une forme d’illustration : la mort, le vide (voire le blanc du linceul, pourquoi pas ?), et le sang (ici sous forme de taches projetées accentuant la force et une certaine violence de l’image).

- As-tu un texte préféré dans ce recueil ?

« Dernier souffle » assurément, du fait que le scénario s’appuie pour partie sur un souvenir d’enfance marquant et douloureux (drame familial). Mais d’autres textes me tiennent aussi beaucoup à cœur, et j’ai eu la chance de pouvoir les réunir sur ce même projet.

- Par exemple ?

« Une rencontre diaphane », pour ce pas de côté insolite sur le thème de la rencontre entre deux êtres. Et « La visiteuse de tombes » (et non pas : des tombes) car, là aussi, l’inattendu guette le lecteur pris au dépourvu par la chute. « Forages » est intéressant aussi mais bien plus provocateur par sa dimension quelque peu nécrophile, disons pas très « politiquement correct » quant au respect dû aux lieux propices au recueillement et à la dignité que sont (censés être…) les cimetières. À ce titre, et se déroulant dans le même lieu, « La visiteuse de tombes » est bien plus respectueux des convenances.

- La chute, la surprise finale pour le lecteur, semblent avoir une dimension importante dans tes nouvelles ? Ou est-ce juste le cas pour celles-là ?

En effet. Je n’aime guère les textes dont le final se dilue en fade off, typiques de la nouvelle américaine, ni ceux qui vous laissent pantois ou frustré parce qu’on en attendait un peu plus, qui se terminent de façon impromptue, au « mauvais moment » (même si la notion de final idéal d’un texte est sans doute très subjective). J’applique d’ailleurs parfois aussi cela au roman et pour deux d’entre eux au moins, l’intrigue se dénoue sur une phrase révélant juste avant le point final ce qui s’est produit sur plus de 400 pages de récit.

- Quel est ton lien avec Nouvelle Donne ? Depuis quand en es-tu membre ?

Mon épouse Hélène et moi avions adhéré à Nouvelle Donne presque à ses débuts, vers 1992, puis nous avons cessé juste après la naissance des enfants, qui ne nous permettaient plus de nous déplacer aisément pour les réunions régulières de l’association. Nous avons repris contact il y a 4 ans environ, après le décès de Christian Congiu, une fois nos enfants autonomes et les relations largement simplifiées par Internet (comité de lecture, etc.), ayant donc doublement gagné en liberté pour collaborer de diverses façons à Nouvelle Donne.

- As-tu d’autres projets de recueils ?

Il y en a un autre, Coup de Pouce , publié l’an dernier chez Lune Écarlate, mais on sait que les recueils n’ont pas la faveur des éditeurs francophones, quel que soit le genre, et c’est un combat presque perdu d’avance que de se faire publier sous ce format trop peu vendeur. Un autre projet était en route chez Lune Écarlate (un recueil de textes fantastiques celui-là, pour changer de la science-fiction pour Coup de Pouce), mais l’accouchement ou la décision de lancement effective semblent tarder. Idem pour un autre projet gelé, en littérature « blanche » cette fois, même s’il s’agira de textes assez « noirs » ! La patience est souvent la première vertu des auteurs, parfois plus encore que leur aptitude à la « solitude face à l’écran » pour écrire et imaginer leurs histoires.

Propos recueillis par Léo Lamarche