Le recueil Un piranha ne fait pas le printemps est une très bonne surprise. Dix nouvelles mettent en lumière des héros interlopes peu scrupuleux, au franc parler certes dérangeant mais toujours hilarant, dans un verlan imagé non asséné à la truelle et donc aussi bien réaliste, juste dosé ce qu’il faut pour tenir le lecteur en éveil. Les histoires se tissent autour de la banlieue qui produit des rockeurs sous emprise ne forçant pas leur talent, des losers magnifiques (car mieux vaut être le meilleur des perdants qu’un premier besogneux) et des casses ratés, ponctués par un dialogue surréaliste avec un piranha surdoué. Et si elles finissent rarement bien, on se retrouve emporté, charrié par un fatum irrésistible, un courant, une marée montante, dont on ne souhaiterait pas changer un iota ni une virgule. Comme dans la vie, ce qui se passe a beau être inévitable, tout est loin d’être prévisible. Certains moments sont aussi pleins que furtifs, tels des haïkus, des « Poèmes japonais », et ce n’est pas la longueur de l’instant qui en fait le poids. Et n’en déplaise aux bien pensants, les innocents et les coupables se confondent aisément. Le jugement est en fait suspendu, et nous voici spectateurs impuissants, témoins de tranches de vie qui pourraient aussi bien basculer, devenir les nôtres. Nous apprenons même au passage que la vengeance peut être justifiée et comment, via une armada d’abeilles tueuses soigneusement dressées, il est possible de commettre le meurtre parfait.
Et si l’on s’interroge sur « l’innocence des balles perdues », c’est aussi pour évoquer celle de l’absence paternelle involontairement prolongée. La balistique parle de sentiments, parfois.
Un piranha ne fait pas le printemps Serguei Dounovetz - Éditeur : Zinedi