Après avoir écrit avec maestria des livrets inédits pour des personnages hauts en couleurs issus de quartiers suburbains (Les cendres de Marbella, prix Place de la nouvelle 2018, suivi de Gardien du temple) Hervé Mestron nous transporte aujourd’hui dans le monde de la musique classique, qu’il connaît particulièrement bien. On peut même dire qu’il renoue avec ses premières amours, celles qui ont donné vie à son premier opus (La sonate dans le caniveau) et à bien d’autres encore, au fil de deux décennies envolées avec la célérité d’une note de triangle.
Symphonie en psy mineur nous fait entendre de nouveaux chants aux tonalités variées, alternant les voix féminines et masculines, barytons et sopranos, écrits sur une partition où s’enchaînent les accords mineurs et les dissonances. Il s’agit ici, à vrai dire, de regarder en coulisses, derrière le rideau afin de surprendre la faille de la pianiste, du flûtiste, du trompettiste (trompe-triste ?), voire d’écouter derrière la porte du cabinet du psy où, de guerre lasse, l’artiste est contraint de s’allonger. De belles surprises ornent l’envers du décor : à l’écart des feux de la rampe, neuf instruments – à chacun son instrumentiste – se partagent la vedette autour d’étranges aventures. Celles-ci se jouent en solo et en catimini, dans une vraie vie plus ou moins refoulée et resurgie en force, contrepoint vengeur et dissonant d’une musicalité préméditée, travaillée d’arrache-pied en fosse d’orchestre, et dont on aurait oublié le prix à payer. Nous apprenons ainsi que la flûte ne charme pas que les serpents, qu’une violoniste allergique peut nourrir des fantasmes de violence, qu’il est relativement facile de berner un trompettiste en surpoids, qu’une claveciniste esseulée ne renonce pas pour autant à ses rêves d’amour, que jouer du tuba peut rendre fou, qu’on ne se méfie jamais assez d’un contrebassiste doué en cuisine, d’une violoncelliste un peu trop soumise à la tyrannie d’un chef d’orchestre, ni du chat génial d’un pianiste aigri.
Au centre du recueil, il y a aussi Dominique, cet alto troublant, déchirant même, ado attardé aux circonstances atténuantes, qui cherche son identité et trouve une clé, hors des pupitres et des portées, au fond d’un tiroir secret : alors on ne joue plus, même pas de la musique sacrée, silence dans la salle, ici on respire, on vit, on abat les masques en osant le maquillage, on tente de se reconnecter à soi-même, d’accepter l’imprévu avec plus ou moins de succès, en évitant ou non la folie.
Liguées pour nous faire tourner la tête crescendo, en une vigoureuse mélopée échappant aux répétitions et aux lois harmoniques, aucune de ces partitions inédites ne se lit comme étant écrite d’avance.