RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Si un inconnu vous aborde – Laura KASISCHKE (traduit de l’anglais par Céline Leroy) Éditions Page à Page, 2017 - 190 pages – 17 €

par BN

Poétesse et romancière reconnue, Laura Kasischke se frotte ici pour la première et sans doute unique fois de sa carrière à l’art difficile de la nouvelle et le moins qu’on puisse dire, c’est que le résultat est… déconcertant pour un lecteur français, même rompu à toutes les formes que peut prendre la nouvelle aujourd’hui. Si le livre ne bénéficiait pas d’une préface enthousiaste de Véronique Ovaldé, il faut avouer que nous ne l’aurions sans doute pas chroniqué. Mais avec une telle caution, nous nous sommes dit : « Ne risquons pas de passer à côté d’une pépite sans en avoir vu toutes les facettes. »
Ouvrage déconcertant donc, pourquoi ? Comme le dit la 4e de couverture, parce que ces nouvelles sont « étranges, dérangeantes » et qu’elles « représentent autant d’uppercuts à nos aliénations quotidiennes ». Certes. Encore faut-il qu’elles soient compréhensibles, ce qui n’est pas toujours le cas, à moins peut-être de savoir lire entre les lignes mais l’auteur ne nous y aide pas. Déjà Mona (le 1er texte) donne le ton : une mère fouille par curiosité dans les affaires de sa fille et y fait une découverte horrible qui met mère et fille dans tous leurs états, mais quelle découverte ? Difficile de le comprendre. Plusieurs pistes semblent possibles mais sont refermées sitôt ouvertes. Nous n’en saurons pas plus, c’est très frustrant. Dans d’autres textes comme Les Prisonniers, la nouvelle se terminant par hasard au bas d’une page, on tourne naïvement cette page pour lire la suite et surprise… il n’y a pas de suite. Le texte semble coupé là un peu par hasard et si le lecteur n’a pas saisi de quoi il s’agissait, qu’il se débrouille ! La notion de « chute » semble d’ailleurs bannie de la plupart des textes ou en tout cas laissée à l’imagination de ce même lecteur, qui a décidément bien du boulot.
Heureusement, toutes les nouvelles ne sont pas de cet acabit. Certaines sont très touchantes dans leur description à peine décalée d’un quotidien familial douloureux (Melody, Le Père), d’autres sont plus « sociétales » : La Saisie, Ҫa doit être comme ça en enfer. D’autres encore, comme Tu vas mourir, sont glaçantes et la dernière du recueil, qui se trouve aussi être en partie éponyme (Si un inconnu vous aborde pour vous demander de transporter un objet à bord d’un avion), est carrément hilarante.
Un recueil éclectique, donc, admirablement écrit et, on le suppose, admirablement traduit, mais toujours baigné de cette étrangeté si particulière qui est la marque de fabrique de l’auteur et, si l’on en croit Véronique Ovaldé, hanté par cette question fondamentale : « Comment réussir à prendre la mort comme une nouvelle du cosmos, quelque chose qui ne vous arriverait pas personnellement mais serait un simple élément du cycle de la vie ? » Nous avouons n’avoir pas perçu cette dimension, ce qui n’empêche pas d’apprécier les textes.