Les contrées infinies des rêveries amoureuses de M lui permettent d’oublier provisoirement l’espace limité de son logement d’étudiant vierge d’éléments décoratifs (« J’ai beaucoup meublé ma solitude, mais jamais au sens propre »), d’autant plus qu’un mur mitoyen mal isolé laisse deviner la présence d’une voisine troublante mais inaccessible, combinaison difficile à réconcilier et perturbante pour le locataire, qui vit (presque) seul mais hanté par la jeune femme. Les charmes que pourrait comporter la solitude lui sont ôtés par cette présence invisible et comme indifférente. De cette quadrature du cercle que M peine à résoudre, son chat moustachu, savant et détaché, tire des leçons à son profit et philosophe à la place du maître, sans se priver de commentaires sur les incongruités humaines : « le déménagement est une ruse de l’esprit humain, comme la Révolution : qu’on coupe des têtes ou qu’on transporte des machines à laver, c’est un chamboulement qui, loin de viser un progrès réel dans le futur, n’a d’autre justification que lui‑même. Il permet de compter ses amis et de les rassembler autour d’une activité physique menée en commun, ce qui génère de l’intensité, musculaire et sociale. »
Dans cet environnement minimal, ce pas de deux inversé entre l’animal et l’humain n’a rien de banal. Le style d’Olivier Salaün distille, en creux, une ironie discrète et inépuisable, comme en équilibre sur un fil, déjà remarquée dans Il y a un trou dans votre CV et sa Lettre de Debrecen, chroniquée ici
Une élégance qui convient à merveille à ce petit bijou brillamment illustré, produisant un effet désopilant.