Dans ces six nouvelles de Frank Andriat, on sent le souffle du romancier, sans qu’il y ait un mot de trop. Chaque nouvelle se développe sur vingt à trente pages et forme un microcosme dans lequel l’atmosphère, le suspense et les personnages prennent tranquillement leur place et se partagent l’espace ferroviaire. Les dénouements éclairent a posteriori les zones d’ombre et les allusions non élucidées, semées sur la voie ferrée tels des cailloux blancs dans la forêt.
Car il s’en passe, dans les trains de la SNCF et de la SNCB, organismes jumeaux, au moins par leurs légendaires ratés : les retards prêtent le flanc à un comique de situation, et les compagnons de voyage font le reste pour compléter ce tableau digne d’une comédie humaine aux multiples facettes, sur fond d’accidents de la vie et de la voie. L’auteur excelle dans la caractérisation des personnages, les secondaires n’ayant rien à envier aux principaux. Pour les premiers, nous avons un choix de zombies absorbés par la Toile (films de série B ou jeux vidéo) et de charmantes passagères, dont une contrôleuse aux allures de mannequin. Chez les seconds, à divers degrés, la fatuité le dispute à la méchanceté en la personne du « grand homme », du psychopathe et des étudiants querelleurs. L’homme marié, pressé de quitter son épouse passionnée pour une maîtresse terne et calme, nous propose un amusant renversement de situation et nous réserve quelques surprises (La notification). Heureusement, Samir, l’émouvant réfugié syrien donne un exemple d’humanité rare (excellent Avec des sourires et de la paix) en tentant de racheter ce triste lot.
L’auteur n’élude pas les réels dangers de la vie du rail qui, à l’instar de la vie elle-même, parfois déraille (suicides, agressions et homicides, sur fond de malentendu). Tout y est, jusqu’au nom savoureux de quelques gares belges.
C’est avec maestria que Frank Andriat maintient constamment notre lecture en éveil. Chaque nouvelle est comme un cadeau que l’on a hâte de dégager de son emballage, et en tant que lectrice, pas une d’entre elles ne m’a déçue.
Lorsque la vie déraille, Frank Andriat, éditions Quadrature, 145 pages, 16 €,