De Because à Sexy Sadie, Marlène Tissot réinvente l’art de la fable non sans humour, à partir de fils ténus tirés de titres de chansons des Beatles qu’elle sort de leur contexte et replace dans un quotidien dénué de lustre, autorisant le lecteur à « fredonner au cours de la lecture », tout en l’avertissant que « le mélange chanson-fiction pourra présenter un léger aspect trouble sans danger pour la santé mentale du lecteur (hors pathologie déjà avérée) ».
Marlène Tissot nous parle du désenchantement du quotidien, de vider des cartouches d’encre dans la baignoire, par nostalgie de la mer, « s’étonne de s’étonner » que « le ciel du Nord soit presque aussi bleu que le ciel du Sud », trouve « que les murs semblent de mauvais poil ». Simples observations à partir d’un environnement pas très « glamour » ?
Pas seulement, car aussi bien prend-elle le parti de l’élève David quand la direction de l’école « confond les cancres et les rêveurs » et renvoie celui-ci pour avoir transformé une pomme en oiseau, et cassé un carreau. Avec, au passage, un petit clin d’œil à Prévert.
Le fil rouge sous-jacent de ces comptines, dénuées apparemment d’ambition et présentant même, peut-on dire, une esthétique du dénuement, est sans doute à trouver dans un désespoir existentiel que la chanson vient à la fois éclairer et transcender, dans un contexte décalé. Et prise à contrepied, avec une certaine cruauté, Strawberry fields forever, cette œuvre enchanteresse, nous débarque brusquement sur terre, certes dans un champ de fraises mais pour y pousser un dernier soupir presque digne du Dormeur du val, s’il n’était beaucoup plus prosaïque.
Marlène Tissot déjoue les chausse-trappes, évite le pathos et les élans gratuits, reste dans un no man’s land indéfini qui génère une certaine angoisse à partir de presque rien. Elle met le rêve en abîme, transforme l’or en plomb, en regardant les choses en face. C’est pourtant en cela qu’elle est magicienne. Entre ses lignes se dessine une vacuité de l’existence qui peut s‘avérer fertile si la rencontre avec le lecteur a lieu ; pour ma part, la lectrice que je suis a fini par se demander : qu’est-ce que la vie ? Le bonheur ? Pourquoi sommes-nous sur terre ?
Gageons que je ne serai pas la seule sur ce terrain. Pour se faire une idée du ton original et goguenard de Marlène Tissot, lequel, mine de rien, confère au volume un sceau d’authenticité, citons au hasard des pages :
« Quand il m’a dit « Je suis heureux de simplement danser avec vous », j’ai répondu « Moi aussi ». Et j’y ai presque cru, sur l’instant. Puis je me suis dit qu’Ils étaient foutrement malins et que, s’ils se mettaient aussi à frelater le vin, je devrais malheureusement me résigner à en boire moins. Sinon, je finirai comme eux tous : sinistrement heureuse. »