« Le rail chantait sous la carlingue sa comptine obsédante et douce ».
Rien que pour cette phrase, on a envie d’y être dans ce train, objet depuis toujours de tous les fantasmes, berceau des rencontres éphémères mais aussi vecteur de fuite, de rupture, d’exil… On a envie d’y être mais on sait bien que ses charmes éventuels sont trompeurs, voire mortifères. Ici, en tout cas, il a inspiré six auteurs dont le moindre n’est pas Fabrice Schurmans, que nos lecteurs connaissent bien puisque nous avons eu déjà deux fois le plaisir de lui ouvrir nos colonnes. L’un de ces textes s’intitulait d’ailleurs La Gare, ce qui prouve une belle constance d’inspiration en même temps qu’une capacité à se renouveler car les deux nouvelles (La Gare et Toi qui pâlissais au nom de Lucia Rios, quel beau titre !) ne se ressemblent en rien, même si elles ont en commun l’univers ferroviaire. Cadre idéal d’une brève rencontre passionnelle chez Schurmans, donc, le train peut aussi, chez Vanya Chokrollahi, favoriser la fuite d’un criminel qui n’en demandait pas tant et qui regrette déjà d’avoir si bien réussi sa « disparition » (La Coupure). Le rail ne chante pas non plus dans le monde d’Ariane Issartel (Faux mouvement), mais le train hurle, « les jointures, les vitres, le métal des roues, l’armature des sièges, les portes coulissantes […] en répétant Menteur, menteur… » et « chaque roue du train [dit] Menteur, menteur ». Quel est donc le mensonge si lourd, la trahison si odieuse que trimballe et trimballera toujours ce voyageur-là, quelque train qu’il prenne ? Et ainsi de suite. Qu’on l’emprunte pour aller enterrer son meilleur ami en même temps que ses souvenirs de jeunesse (Vers la mer d’Azov), qu’on essaie d’y exorciser la réminiscence d’un accident ferroviaire ancien mais à jamais imprimé dans la chair (Souffrance nocturne), ou qu’on y revive désespérément un moment de son existence marqué par la lâcheté et qui a peut-être entraîné la condamnation d’un innocent (La fin du voyage), le train n’a guère changé depuis La Bête humaine : c’est une sorte de monstre prêt à avaler ou à broyer les humains, peut-être aussi à les bercer, mais c’est une autre histoire qui, on l’aura compris, n’a pas sa place dans ce livre très noir.
Le Train – collectif éditions Le Soupirail, 2018 – 92 pages – 12 €