RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

Le petit sapin de Noël – Stella Gibbons – Héloïse d’Ormesson, 2018

par BN

Un peu tard en saison pour chroniquer un livre qui porte ce titre ? C’est sûr, mais dans ce cas, impossible d’anticiper car ledit livre est arrivé à titre de cadeau… au pied du sapin, justement. Et puis, « Le petit sapin de Noël » n’est que le titre de la nouvelle éponyme, les autres et même celle-là, en fait, parlent de tout autre chose.
De quoi ? Essentiellement, de la difficulté que l’auteure a bien connue d’être née femme au début du XXe siècle et de trouver sa place dans la société des années 30, encore très machiste mais où certaines commencent à secouer le cocotier. Les héroïnes des quinze nouvelles qui composent ce recueil ne se ressemblent pas mais elles ont un point commun : elles font partie d’une génération sacrifiée, qui a « essuyé les plâtres » et fait bouger les codes des relations hommes/femmes, mais s’aperçoit avec tristesse qu’aux yeux de la génération suivante, tout ce qu’elles ont conquis est considéré comme acquis depuis toujours et que nul(le) ne se souvient même de leur combat.
Et pourtant, elles en ont fait, du chemin, avec en commun un même désir, celui d’exister, sans les hommes s’il le fallait, avec les hommes si ceux-ci consentaient à faire au moins la moitié de la route… Mais ce n’était pas donné d’avance et celles qui se sont crues trop vite arrivées et même revenues de tout ne sont pas au bout de leurs peines. Ainsi Miss Roscoe fait le récit de sa vie : « George et moi, nous nous connaissions depuis l’enfance. Quand j’ai eu trente-cinq ans, nous nous sommes fiancés […]. J’avais œuvré pour la Cause toute ma vie et c’était un homme intelligent, qui savait ce qu’elle représentait pour moi. […] Il m’avait attendue et il était absolument d’accord pour me partager avec la Cause, mais cela ne me suffisait pas. Je voulais être aussi libre que si je n’avais pas été mariée, libre de tout donner à la Cause. Mais George ne voyait pas les choses ainsi. J’ai donc rompu nos fiançailles. » Triste bilan, donc, mais tout espoir n’est pas perdu : Miss Roscoe va tardivement tomber sous le charme d’un homme qui… Nous n’en dirons pas plus, d’autant qu’elle n’est qu’un exemple, significatif, certes, mais loin d’être unique : pour chacune de ces quinze femmes, si les causes de leur mal-être sont les mêmes, l’itinéraire est différent et la conclusion de la nouvelle aussi.
Celle-ci est d’ailleurs souvent très elliptique, c’est à peine une chute, elle suggère mais n’impose pas, à la manière « so british » aussi éloignée du pathos que possible et toujours saupoudrée d’un zeste d’humour. C’est parfois très déconcertant pour le lecteur français cartésien qui aime qu’on lui mette les points sur les i, mais on s’habitue et on finit par aimer cette latitude qui est laissée au lecteur d’imaginer la suite. Pour ma part, cette première balade dans l’univers de Stella Gibbons m’a donné envie d’en connaître davantage et, pourquoi pas, de lire un de ses romans.