Annulation du Salon de la revue, du Marché de la poésie et de bien d’autres manifestations qui font vivre le livre et en particulier les « petits éditeurs »… les mauvaises nouvelles se succèdent. Dans le marasme ambiant, lesdits éditeurs s’accrochent aux branches qui restent à leur portée et ils ont bien raison. C’est ainsi que nous avons reçu une demande de chronique pour Le petit peuple des nuages et nous nous en réjouissons, car il s’agit d’un excellent recueil de nouvelles, dont l’auteur – qui n’est pas une débutante – maîtrise les codes du genre tout en en proposant une lecture très personnelle.
Un thème unique à ce recueil : les rapports parents/enfants et tout particulièrement père/fille (quelques garçons, quand même) quand le père en question s’est fait la malle. Au premier abord, on pourrait craindre que l’auteur ne s’essouffle vite, car tout de même, 13 textes sur cet unique sujet, c’est peut-être beaucoup. Mais non. Chaque père a eu ses raisons et sa façon de jouer les filles de l’air et chaque enfant sa manière de vivre son absence et, dans le meilleur des cas, de gérer les ultimes retrouvailles aux portes de la mort. Souvent, les protagonistes n’ont pas de nom, le père surtout, souvent désigné par il ou même une simple initiale. La mère, c’est elle ou cette femme (R. n’est pas un bon père, mais c’est comme ça, cette femme laisse sa vie couler entre ses doigts). En fait, plus que des personnages, les parents représentent des archétypes de comportement (Mon père était fou, ma mère était géniale. Elle a fini par perdre la raison, elle aussi. Et moi, j’étais au milieu d’eux). Quant aux enfants, ils naviguent entre le je du narrateur interne, très impliqué dans ce qu’il raconte (J’étais laide et grosse. Ma voix déraillait. Dans ma gorge, il y avait des larmes qui ne séchaient pas), le tu qui introduit de la distance (Tu réfléchis à tout ça, cette mascarade qu’est l’enfance), le il ou le elle, plus neutres... On voudrait pouvoir émailler cette chronique d’une foule de citations, tant l’auteur a trouvé les mots justes pour évoquer sans les blesser davantage ces grands brûlés, qui voudraient tant qu’on les touche mais se blindent contre tout contact.
C’est un livre triste, forcément, et douloureux aussi, mais pas seulement. Il arrive que, dans un dernier paragraphe, l’auteur laisse une porte ouverte : Y’a bien quelqu’un qui vous attend quelque part, dit à l’une des héroïnes un vieux bistrotier, parodiant sans le savoir Anna Gavalda. Oui, pour certains, pour certaines, il n’est pas tout à fait trop tard et c’est la mort du père, fût-il à l’autre bout du monde, qui donne le déclic. Pour les autres, il ne reste qu’à survivre, tant bien que mal. C’est la vie, dirait sans doute Charlotte Monégier.