C’est donc à l’heure de L’Angélus des Ogres que nous retrouvons le narrateur de la Monstrueuse féerie précédemment chroniquée dans cette rubrique.
Le voilà à présent étiqueté patient-salarié ou encore salarié-interné dans le même établissement de soins psychiatriques, ce Centre, où il avait su et sait toujours créer une relation étonnamment humaine avec les « patients volubiles ».
Si vous n’avez pas lu la première novella peuplée d’êtres fragiles, de créatures diaphanes et de monstres effarants, vous aurez peut-être quelque difficulté à entrer dans l’univers de Laurent Pépin. Cependant, maître de son ouvrage, aussi chaotique et tourmenté soit-il, l’auteur pose quelques jalons pour permettre au lecteur de suivre le voyage de son héros depuis son bureau, devenu l’« épicentre clandestin de l’activité imaginaire des Monuments » (nom donné à ces patients plus solidement ancrés dans leurs rêves que les médecins ne voudraient le faire croire) jusqu’à l’intérieur d’une immense cloche de verre, sorte de boule à neige glaciale et magique, où, frère éloigné de la petite fille aux allumettes de Hans Christian Andersen, il fumera trois cigarettes avant de s’abandonner à ses visions allongé sur un sol immaculé.
Oui, il faut être un héros, et un héros « visionnaire », pour résister à « la pensée filtrée », celle qui voudrait égaliser, normaliser, et même rentabiliser, les désaxés.
C’est justement sur des axes décalés que caracole une prose poétique, parfois lumineuse et enfantine, parfois noire et déchirante. Comme la folie.
Il vous faudra attendre le troisième volume pour savoir si l’auteur fait le choix de nous laisser un ultime espoir de partage ou s’il radicalise sa vision de la différence au point de laisser certains lecteurs de l’autre côté de la paroi de verre, fascinés, rebutés, admiratifs et désemparés.
L’Angélus des Ogres, Laurent Pépin, octobre 2021 Éditions Flatland, collection La Tangente, 8,50 €