Jérôme Leroy est l’une des plumes francophones reconnues dans le genre noir, avec une vingtaine de romans ou recueils publiés. Plus notable encore, il est donc l’un des rares à publier des nouvelles – et à en vendre, présume-t-on ?
Autre fait notable et annoncé à demi-mots par son titre codé, Les jours d’après aborde l’anticipation, une moitié des 15 textes du recueil se plaçant à ses limites, voire en pleine science-fiction. Les textes noirs sont très… noirs et réalistes, à la manière d’un Jonquet, avec une forte dimension sociopolitique commune à nombre d’auteurs du genre. Rendez-vous rue de la monnaie, qui ouvre le recueil, en est un digne représentant, bien que son scénario (et le nombre de balles tirées et de victimes) rappelle 50 années de cinéma sanglant, catégorie Gangsters ou Espionnage. À l’opposé, les textes d’anticipation sont déjantés, disons peu rationnels et flirtant avec le gore et le grand-guignol (L’échec de Jacob), qui plus est datés et avec un goût de déjà lu. Et ses « Jours d’après » (Moi le beffroi, Bankdefran, Quand les drones se taisent) s’avèrent au final assez proches des premiers textes d’anticipation politique ou écologique des années 60 et 70 (Andrevon, etc., puis le Fleuve Noir), décrivant l’apocalypse écologique ou nucléaire et un « monde d’après » lugubre, déprimant et sans espoir. En cela, l’auteur semble peu au fait de l’évolution et de la maturité atteinte par l’anticipation contemporaine. Le sous-titre « conte noir » du recueil est exact mais annonce à la fois les limites de l’exercice, comme si l’auteur avait oublié qu’en termes de contre-utopies, les « vrais » fans d’anticipation en attendent un peu plus que des scénarios datés, qualificatif peu idéal pour une anticipation digne de ce nom. Si la référence à Barjavel et à Marcel Aymé de la quatrième de couverture est assez juste, elle donne donc aussi une idée d’un certain décalage avec la réalité contemporaine du genre. En effet, si un classicisme de bon aloi parviendra toujours à se justifier en littérature noire, il est à manier avec un peu plus de précautions et de vision « prospective » en science-fiction, qui plus est spéculative. Faute de quoi, on reste dans l’hommage aux scénarios et aux ambiances d’une génération passée (celle des années 60, déjà citée). S’ajoutant à une maquette très typée « noir »,le fait que l’éditeur évite les termes SF ou anticipation, préférant parler de contre-utopies, est d’ailleurs significatif de la prudence, pour ne pas dire la méfiance éditoriale habituelle envers cet autre mauvais genre cousin du noir mais qui, en France, n’offre guère de promesses de belles ventes.
Si le lecteur habituel de noir a une chance d’apprécier ce pas de côté de l’auteur vers la SF, le lecteur régulier et le fan de SF éprouveront quant à eux une impression de déjà lu, issue de vieux souvenirs de lecture. Reste une mention spéciale pour Les jours d’après qui conclut le recueil, confession désabusée et intimiste, mais aussi « post-apocalyptique » à sa façon, sur l’un des maux de notre siècle qu’est le surmenage professionnel pouvant mener au burn out ou, parfois, à un « retrait des affaires » bien plus prudent et salutaire.
Jérôme Leroy – Les jours d’après, contes noirs (2015, La Table Ronde, collection La petite vermillon)