La gent masculine, voilà le sujet des nouvelles qui composent Des raisons de se plaindre. Leurs petites lâchetés, leur mauvaise foi, leurs erreurs et leurs errances. Leurs soucis d’argent, leurs peines de cœur et leur compétition sexuelle... mais aussi leur charme, leur maladresse. On n’aimerait pas forcément croiser ces personnages dans la vraie vie. Mais l’humour et la cocasserie les rachètent. En somme, ils nous ressemblent.
Lorsque j’écris une chronique, j’aime bien citer la quatrième de couverture parce que celle-ci constitue l’apéritif d’une lecture, et qu’apéritif ça veut dire « qui ouvre l’appétit ».
Disons-le d’emblée, j’ai été surprise de constater que ce recueil regroupait quelque vingt ans de textes courts de l’auteur, dont la plupart déjà publiés. Ça n’était écrit nulle part.
Ensuite, après deux nouvelles, je me suis rendu compte que la gent masculine n’était pas le sujet de ces nouvelles : c’était la vie dans tous ses états et ses drames, avec des vraies « petites gens », dans des situations qu’on trouve parfois dans les faits divers.
Donc, la quatrième de couverture n’était que partiellement vraie. Cela m’a-t-il coupé l’appétit ?
Non. Les nouvelles sont d’excellente tenue ; l’auteur y aborde toutes sortes de thèmes, comme dans Par avion, l’histoire d’un routard fâché avec ses parents ; Des jardins capricieux ou le plan drague foireux autour d’un plat d’artichauts, avec deux « potiches » bien encombrantes ; La vulve oraculaire, l’expédition d’un professeur expert en sexologie découvrant les mœurs sexuelles très particulières d’une tribu ; Musique ancienne ou la passion dévorante et désespérée d’un musicien pour un instrument rare et passé de mode…
C’est aussi une écriture à l’américaine, où le portrait des protagonistes, finement décortiqué, frise le chirurgical. Une écriture efficace, pas de descriptions inutiles. D’ailleurs, les nouvelles sont souvent construites sur un même schéma : après la présentation du personnage principal et des seconds rôles, vient le flash-back, expliquant comment le personnage principal s’est retrouvé embourbé dans une situation inextricable, dont l’auteur ne cherche pas non plus à le faire sortir.
Pas de nouvelles à chute, ou si peu.
Alors, pourquoi lire Des raisons de se plaindre ? Pour un ton, comme dans Fondements nouveaux, pour la clairvoyance de l’auteur lui permettant d’évoquer avec une telle justesse les dilemmes, les hésitations, les coups de cœur, la vraie vie, quoi !
Jeffrey Eugenides - Des raisons de se plaindre