La Nationale 7, ici rebaptisée Haine 7 – novella noire oblige – campe le décor d’un drôle de cirque : celui des déclassés, désespérés en sursis, SDF et rebels at heart, vrais parias assumés à la vie rude et sans chichis, à la rue ou sur la route, ces deux voies se croisant volontiers et finissant par se confondre pour un temps indéterminé. Une existence à la fois ténue et tenace, fragile et pourtant coriace, qui oscille entre la fuite (devant l’ordre établi, les flics, mais pas que…) et le renoncement à tout. Le temps d’une escale à Paname, s’agite en bord de Seine une galerie de portraits brossés à la rude, « Karl Marx pouilleux », « Moïse post-nucléaire » et « la bosse » qui s’enfilent un « sandwich pain de campagne-merguez à caler toute l’équipe du Stade Toulousain », relâchement temporaire auquel sursoit « Jacquot, vigie masaï à la proue du dernier radeau pirate ». Paradoxe de la rue, splendeur du caniveau, ces Diogène modernes nous percutent de plein fouet par la grâce du style sans concessions, suprêmement efficace et mordant de Jean‑Luc Manet. S’ensuit une dernière valse désespérée avant la chute, à laquelle assiste, témoin déboussolé et en quelque sorte privilégié, un critique spécialiste de musique punk‑rock, dès lors qu’il a l’idée contestable d’héberger une Estelle blessée, mutique, irréparable, cruelle et déchirante. Et même si la danse est macabre, l’écriture splendide (fidèlement illustrée par les lavis noirs et gris d’Emmanuel Gross) infléchit le sort de Cendrillon, changeant à minuit les guenilles en habits de bal. Implacable. No surrender.
Haine 7, de Jean‑Luc Manet, dessins d’Emmanuel Gross éditions Antidata, 71 pages, 7€
(actualisé le )