Quatre nouvelles seulement composent ce gros recueil, avec une particularité qui, outre l’indiscutable qualité du style, a sans doute séduit Le Dilettante, éditeur exigeant s’il en fut : 3 au moins des 4 textes - et même les 4, à bien y réfléchir - se rattachent à un même thème, assez peu banal. En effet, les héros/narrateurs, bien que différents à chaque fois, appartiennent à la même catégorie d’êtres, ceux qui sont d’une certaine manière « étrangers » à leur vie (la référence au texte de Camus s’impose), une vie dont ils sont moins acteurs que spectateurs (et encore ! assis sur un « petit strapontin », comme le précise l’un d’eux).
Dans L’Île aux bœufs, un jeune homme de 17 ans massacre et viole une jeune fille, sans que ce meurtre, qui restera impuni, provoque chez lui le moindre sentiment de culpabilité, ne l’empêche ni de dormir ni de se construire une existence tout ce qu’il y a de « normale », jusqu’à ce que très tardivement, au soir de sa vie, se fasse jour quelque chose qui pourrait ressembler à un remords…
Le héros de Fausses reconnaissances, lui, est un schizophrène, persuadé qu’Elvis Presley est vivant, qu’il est en France pour se faire opérer d’un cancer de la prostate et qu’il lui revient à lui (qui a tout compris) de préserver l’anonymat de la star. D’ailleurs, il entend des Voix qui lui ordonnent de « bousiller » toute personne susceptible d’entraver les projets secrets du King. Tout cela finit en HP où, transformé en zombie, il s’inquiète des ordres que lui envoient les Voix, qui l’incitent cette fois à se bousiller lui-même. Ce qui, au fond, n’est pas une mauvaise idée.
Quelques couvercles soulevés met en scène un « pauvre type » qui, après avoir envisagé, enfant, de tuer ses parents endormis, puis plus tard, de perpétrer un massacre dans un supermarché, « cale » par deux fois devant le passage à l’acte, se retrouve lui aussi englué dans la plus banale des vies et constate qu’il n’aura été « qu’un bon gars qui regarde passer les trains ». C’est le texte le plus déprimant, parce que celui auquel on peut le plus s’identifier.
Heureusement, La ménagère apprivoisée nous permet de rire presque sans arrière-pensée du dragueur impénitent qui déploie une stratégie d’enfer pour amener au lit la belle quadragénaire repérée au rayon produits laitiers d’Auchan, qui y parvient, se vautre avec elle dans la volupté la plus effrénée, puis disparaît sans laisser d’adresse une fois son désir repu. Don Juan pas mort… Reste à savoir si lui aussi ne passe pas à côté de sa vie, ce que semblerait signifier sa présence dans ce recueil. Faut-il pleurer, faut-il en rire ? ...
À remarquer : aucun des quatre personnages n’a de nom. Ce n’est certainement pas un hasard…
Glaces sans tain, Soluto, Le Dilettante, 251 pages