Riche déjà d’une bibliographie (en particulier poétique) qui pourrait faire bien des envieux, Jean Bensimon nous mène cette fois sur les chemins tortueux du texte court narratif. Son recueil dont le titre, « Entre-deux », semble judicieusement choisi, trouve effectivement son unité autour d’un thème seize fois décliné dans des contextes différents, et qui pourrait être résumé par le terme « incertitudes ».
Seize personnages, hommes ou femmes, de milieux, d’origines, d’époques, de situations différents se trouvent confrontés aux mêmes questions qui surgissent tout à coup dans leur vie : suis-je celui ou celle que je crois être ? Celui ou celle que j’aime est-il bien celui ou celle que je pensais, ou ai-je été aveuglé par mes sentiments ? Dois-je finalement mener à bien ce projet qui me semble soudain hasardeux ? Les voix que j’entends sont-elles réelles ou imaginaires ? Ceux qui m’entourent me veulent-ils du bien ou du mal ? Suis-je enfin lucide ou suis-je en train de divaguer ? Les frontières entre le monde animal et le monde humain ne sont-elles pas parfois un peu floues ? Normalité ou anormalité ? Réel ou fantastique ? Erreur ou vérité ? Les contours sont érodés.
Des personnages incertains, peu sûrs d’eux, en quête d’identité, souvent dotés d’une extrême sensibilité, à la frontière du normal et du pathologique, cherchent des points d’appui dans une réalité qui semble se dérober et se jouer d’eux.
La variété des situations et des contextes reproduit les mêmes atermoiements, les mêmes interrogations mais différemment déclinés, et les récits sont suffisamment variés pour ne pas générer de lassitude pour le lecteur (même si l’on peut penser - et c’est une toute petite réserve - que 16 histoires, c’est un maximum pour ne pas susciter un effet de répétition).
Quant à la narration, elle est menée tambour battant : l’auteur, qui maîtrise bien la structure d’une nouvelle, fait monter la tension en resserrant progressivement une sorte d’étau autour du personnage principal et le dénouement n’est pas toujours de la même teneur et donc pas forcément prévisible. Il arrive même qu’il maintienne l’incertitude sans conclusion ferme.
L’écriture est agréable à lire car, tout en étant littéraire et souvent poétique, elle reste néanmoins simple et apparentée au langage courant. Elle est manifestement très travaillée.
En résumé, une lecture agréable et très originale.
Entre-deux, Jean Bensimon, Orizons 2021