Dans Coup de pouce de Jean-Michel Calvez, il est question de situations particulières flirtant avec la technologie de pointe, lesquelles nous surprennent autant par leur originalité que par le paysage imaginaire toujours renouvelé qu’elles convoquent.
La vie, qu’elle soit celle d’un vieux fœtus dont le temps d’incubation est rallongé, d’un vieillard zaïrois de cent soixante‑deux ans et six mois ou d’un bébé à naître dont la volonté de vivre pose question à sa mère, est le pôle d’attraction naturel vers lequel converge toute une technologie de pointe, cette dernière incarnée par des scientifiques zélés et suivie de près par des journalistes curieux, pour de bonnes et pour de moins bonnes raisons. Il est également question de réalité et d’humanité augmentée, dont Lady Kagan se fait le chantre à la télé pour le bonheur – très momentané – de fans pré-adolescentes. Attention cependant à l’enfance au sourire d’ange dont les pouvoirs peuvent s’avérer redoutables dès lors qu’on lui a fait du tort au nom d’une sacro-sainte science devenue folle : « l’effet Samuel » est à redouter : « électrostriction, millivolts par mètre, hystérésis, résonance, impédance neuronique, tout cet arsenal libéré… » Mais l’innocence pointe son nez derrière cet arsenal, ce bouclier de termes menaçants, pour peu que la tendresse fasse office de contrepoison ou de ruse de guerre, comme l’ail fait fuir le vampire. La représentation de l’Afrique que proposent deux des nouvelles de ce recueil peut aussi déranger (âmes sensibles s’abstenir), même si ce continent n’a pas le monopole de la violence : afin de nous en convaincre, embarquons pour Venise avec la dernière nouvelle, vers une cité des anges « plus que réelle », où d’inquiétantes gondoles sans gondoliers officient de nuit. C’est ma nouvelle préférée, sensuelle, poétique, mêlant l’or et le faste virtuel à l’horreur d’une réalité trompeuse.
Finalement, ce recueil comblera les amateurs de situations incongrues qui permettent de réfléchir à ce que les extrapolations scientifiques et leurs interventions sur le vivant réservent à l’humanité. Il se situe résolument du côté des excès de la science pour évoquer, de façon ludique et imaginative, voire délirante, les possibles dérives d’une ère post-humaine peut-être pas si improbable, la réalité se débrouillant très bien, au besoin, pour dépasser la fiction.
Jean‑Michel Calvez pose ici des questions éthiques sans les assener lourdement, et ce faisant, renvoie le lecteur à ses propres fantasmes.