La voix délicate, en demi-teinte, de Vanguélis Kolonas, admirablement traduite par Simone Taillefer, s’infiltre dans l’intimité des logis, loin du spectaculaire, proche du cœur des êtres. Elle s’insinue dans la maison close où une prostituée rêve d’évasion et demande à un enfant de lui lire des contes « sans dragons », comme une protection contre le sort funeste qui l’attend (Les dragons arrivent toujours à l’aube). Elle prête aussi son timbre à une femme muselée, étrangère sur le sol grec, blessée à mort de ne pas être comprise (La femme qui marcha dans l’eau). Elle donne une visibilité aux mouvements du cœur spontanés, en dehors des codes et des calibres de la société, entre un prisonnier et un jeune homme (L’Amour avait des menottes). Elle se change en cri d’amour en réaction à la guerre du Golfe (Éloigne les SCUDS de Victor !). Elle se fait l’apôtre des opprimés et des femmes lapidées, opposant une sensibilité juste à une violence incompréhensible (Elle s’appelait Laïs). Face au groupe, à la coercition, à la violence étatisée et reproduite par les armées ou d’autres systèmes insidieux, elle se place résolument du côté de l’individu (La Pythie sous les drapeaux, Minas le colleur d’affiche…), lequel s’accommode malaisément de cadres et de catégories préétablis. Et le texte arpente une Histoire pas si lointaine, dans laquelle d’improbables héros, passés inaperçus, sont morts à Mézourlo dans l’indifférence générale : « Brecht a dit : « Malheur au pays qui a besoin de héros. » On pourrait peut-être ajouter : malheur au pays qui oublie les héros. » L’assemblage de ces solitudes multiples, chez les vivants comme chez les morts, constitue une symphonie aigre-douce, surgie des limbes du souvenir et empreinte de larmes, de sourires, et de tendresse.
Comme le roseau dans la plaine
30 nouvelles de Vanguélis Kolonas, traduites du grec et annotées par Simone Taillefer, éditions Lykossoura, 187 pages, 10 euros