Depuis L’Abyssin ou Rouge Brésil, Jean-Christophe Rufin est bien connu pour ses textes flamboyants et exotiques, ce qui ne l’a pas empêché d’ajouter à l’occasion à son arc la corde du thriller, toujours à dimension internationale, comme dans Le parfum d’Adam ou Katiba. Ici, ses sept textes courts sont pour la plupart des miniatures de la même eau, bien qu’un ou deux d’entre eux abordent un environnement plus proche du nôtre. C’est le cas de Nuit de garde, souvenir intimiste et profondément humain de son propre début de carrière, peut-on supposer, glaçant par son décor et l’absence de tout espoir qui s’en dégage, d’un jeune interne « donnant la mort » ou autorisant celle-ci à faire valoir ses droits, parce que, comme de sauver ou donner la vie, cela fait aussi partie des attributions médicales. Si l’on excepte Le refuge Del Pietro, assez anecdotique et dispensable jusque dans sa chute, et de même une Passion francophone un peu trop théâtrale avec son scénario burlesque d’un caprice de diva, peu crédible et tiré par les cheveux, les autres textes sont à la hauteur de ses romans, en termes de dépaysement total et de flamboyance, tant stylistique que celle des sentiments et de l’émotion. A ce jeu des échanges ou des rencontres interculturelles, on sent que Rufin use de toute son expérience de diplomate et de grand voyageur dans la situation quasiment insurrectionnelle du très sombre Les naufragés (sur fond de tensions entre communautés sur l’île Maurice), et de même pour la comédie dramatique d’une rencontre ferroviaire aux conséquences très inattendues de Train de vie (un jeu de mots crypté portant sur le sujet même de ce texte, que l’on ne décode qu’après coup). Les fiancés de Lourenço Marques n’exploitent guère que le décor de cette île, et non pas sa population, pour nous conter l’histoire d’un amour aussi absolu qu’étrange, le « prétexte ou pari fou », dit-il, de mettre un amour en suspension comme pour mieux le « préserver » plutôt que d’en profiter, au risque de l’user avec les ans. Curieuse décision partagée, singulière jusqu’à l’improbable, mais qui nous offre malgré tout une bien belle « seconde rencontre » à l’orée du troisième âge.
On retrouvera donc avec plaisir la plume classique et magnifique de Rufin dans cette suite de mini-scénarios assez variés, nous baladant dans quelques univers exotiques ou parfois un peu moins, toujours au service de la littérature et d’un grand plaisir de lecture. L’émotion juste y affleure toujours, entre romantisme classique et drame contemporain, avec cet art subtil de conteur qui lui vient peut-être de ces terres africaines qu’il connaît si bien.
Chronique : Jean-Christophe Rufin – Sept histoires qui reviennent de loin (2011, Gallimard)