Imprimé en mars 2020, date fatidique, ce recueil a « anticipé » (verbe de rigueur ici, vu son sujet) une rupture majeure qui bouscule notre monde en profondeur et pour longtemps, au point d’y discerner un « avant » et un « après ». Fût-elle non calculée, cette coïncidence entre fictions et réalité n’en est pas moins notable. Et si l’anticipation n’est pas souvent au cœur de nos chroniques, l’un de « nos » auteurs publiés s’y trouve en bonne place, et le projet est suffisamment original et sympathique pour être évoqué, en dehors même de son « opportunisme très involontaire », en ces temps de crise qui, hélas, en préfigure d’autres à venir.
Explicitement militant, le recueil propose des « nouvelles du futur » (double sens explicite, ici !) imaginées par un collectif d’auteurs regroupés en maison d’édition associative, tous désireux de fustiger ce qui va de travers dans notre monde, et d’imaginer ce qui pourrait advenir du prochain : celui d’après la crise, la fracture, l’apocalypse (liste non exhaustive). Chacun offre sa version de ce qui s’est produit pour mener à ces mondes d’après qu’ils mettent en scène, ce qui est l’essence même du récit postapocalyptique. Bien sûr, cette branche de la science-fiction existe depuis longtemps, et on enfonce ici pas mal de portes ouvertes sur l’urgence et la nécessité de l’écologie militante, d’un ressourcement dans une vie en communauté réduite à la campagne, et d’un « retour à la terre » apte à offrir aux survivants un environnement vivable, moyennant un peu de sueur et de peine.
Si très peu des textes s’écartent de ce schéma connu, on notera celui, bien plus urbain et violent, de Fabrice Schurmans dans « La nuit des mots vivants » (rappelant doublement l’ambiance du célèbre Je suis une légende, de Richard Matheson). Ou, plus sombre et pessimiste encore, celui de Tu Wüst, l’environnement désincarné de son « Utopie presque parfaite » rappelant l’univers clos de Cartographie des nuages, de David Mitchell (adapté par le duo Wachowski dans le film du même nom). Un texte lucide, et assumant ses propres clins d’œil : « je me souviens de tout le fric que j’amassais, mais qui ne donnait aucun sens à mon existence. C’était avant de tout balancer pour une reconversion comme éleveur de chèvres – quel cliché ! – puis fermier quand j’ai vu mon troupeau dépérir. » (p.196).
Les autres textes sont ancrés dans un Sud-Ouest post-cataclysme, donc post-industriel, où chacune des communautés doit faire face à des menaces et soucis divers, dont leur propre mémoire défaillante (parfois à demi-effacée) du passé et du « c’était comment avant ». Le recueil se clôt sur une surprise : Philippe Caza (illustrateur bien connu dans le monde de la science-fiction) apporte sa contribution avec L’ère humaine, enfin ! mettant en scène un autre type de virus, un processus de dépollution biologique qui a mal tourné, apte à lui seul à venir à bout de la civilisation industrielle en la frappant sous un angle insoupçonné. Glaçant et réaliste.
On pourra regretter la relative uniformité géographique et de tonalité, due à celle des auteurs qui, logiquement, ont illustré leur scénario dans leur propre environnement et province. Et quelques textes moins aboutis, l’engagement écologique sincère ne compensant pas le manque d’expérience en écriture. Mais cette uniformité fait aussi sa force – de frappe ? –, par la constante des messages écologiques (parfois un peu insistants et encombrants, lorsqu’ils prennent trop de place et brisent le fil du récit), fustigeant pollution, mondialisation et autres maux dont tout le monde sait se plaindre… sans forcément agir, ni adopter des principes en adéquation pour que cela change. Avec ce recueil, ces douze-là ont choisi, et ils nous le clament haut et fort : l’anthropocène a-t-il atteint ses limites ?
Anthropocène mon amour, douze nouvelles du futur (Le Chien à deux queues, 2020)