RESEAU DE LA NOUVELLE et des formes courtes

A. Igoni Barrett – Love is Power, ou quelque chose comme ça

par JMC

Zulma (2015) – 352 pages – 22 €

A. Igoni Barrett, né en 1979, fait partie de la nouvelle génération d’auteurs nigérians. Et son recueil de textes (la plupart déjà publiés en revues ou magazines) constitue une synthèse de la situation actuelle de son pays, en même temps qu’une galerie de portraits attachants (les deux vieilles dames abandonnées à leur sort dans Ce qui était arrivé de pire), truculents, ou parfois monstrueux (le policier corrompu et machiste – malgré lui ? – de Love is Power… Bien plus que le seul Nigéria, c’est une Afrique noire typique et contemporaine à la fois que l’on découvre à travers ces nouvelles diversifiées de ton et de contenu, tendres et cocasses ou parfois tragiques, mais toujours cent pour cent africaines.
Africains, les textes le sont aussi par la psychologie, le ton et la langue, car le Nigeria s’est approprié l’anglais et l’a transformé tout comme le français des anciennes colonies, créant ainsi son propre langage avec ses rythmes et tournures. Une langue superbement rendue par une traduction qui, même si elle n’en est qu’une transcription francisée, en restitue toute les couleurs et les saveurs, surtout dans les dialogues – avec une mention spéciale pour le monologue intérieur jubilatoire de la nouvelle Le problème de ma bouche qui sent.
Le recueil expose tous les travers et fléaux de l’Afrique, ceux connus de longue date (misère, corruption et machisme exacerbé d’une police pourrie jusqu’à l’os), inhérents à l’Afrique noire, mais aussi d’autres, plus contemporains, comme ces nouveaux hackers amateurs, la jeunesse perdue des quartiers populaires de La forme d’un cercle parfait, ou la galère dans de nouveaux transports en commun (bus), soi-disant modernes mais empêtrés dans le go-slow (terme non traduit) ; galère qui vaut bien celle des nôtres, la chaleur en plus.
À propos de « chaleur », le recueil tout entier est aussi baigné par l’obsession véritable de l’Africain pour la femme et le sexe. Pas un texte qui ne le mette en scène sous une forme ou une autre, du flirt et du désir fleur bleue au machisme éhonté. Du mari volage ou en manque d’amour physique à toute heure jusqu’au flic violeur et brutal et à l’adolescent amoureux (y compris de sa propre cousine) ou attiré par les collégiennes de son âge, tout y est prétexte à tourner autour de la femme, de préférence jeune et belle. Fasciné par elles, leur allure, leurs rondeurs et leurs attributs comme le papillon par la flamme. Cela aussi semble très africain, le climat aidant sans doute à entretenir jour et nuit cette ambiance torride.
Godspeed et Perpetua, d’une autre ampleur, est proche de la novella sociale et nous conte à sa façon l’histoire du Nigeria, des années 60 à 84, à travers la vie d’un couple et de sa fille ; une sorte de mini saga dramatique au final en suspension, sur fond de bouleversements politiques et de coups d’états. Sur ce texte et quelques autres, l’auteur adopte un style plus neutre (ou faut-il dire plus « occidental » ?), remisant tout dialecte local, hormis dans quelques répliques. Ce qui n’enlève rien à la force, à la vérité et à l’africanité de la narration et des situations. Notamment sur le dernier texte du recueil, le seul mettant véritablement en scène la discrimination raciale même si, surprise, ça n’est même pas l’homme blanc qui y est visé.
Par la variété de tons et d’ambiances, l’auteur nous fait visiter un Nigeria qu’il nous rend proche par la vérité de personnages et de situations très différents, depuis l’ado paumé et délinquant jusqu’à la bourgeoisie, en passant par le petit peuple désargenté voire corrompu faute de mieux. Et c’est une Afrique que l’on se prend à aimer sans réserve dans toute sa variété, une Afrique traditionnelle et moderne à la fois, d’une superbe authenticité.