Pour Josyane Savigneau, journaliste au Monde des livres et remarquable préfacière de cette anthologie, Annie Saumont était « certainement la plus grande nouvelliste française ». Dommage que cette information doive être donnée au passé puisque l’écrivain(e) nous a quittés à l’aube de l’année 2017, aussi discrètement qu’elle avait vécu. Si discrètement que malgré la vingtaine de recueils publiés, malgré les multiples récompenses reçues, malgré les comparaisons flatteuses avec les plus grands (Raymond Carver entre autres), elle est restée presque inconnue du grand public. Et pourtant…
Et pourtant, je me souviens du choc éprouvé lorsque j’étais encore une nouvelliste débutante et que j’ai lu un peu par hasard l’un de ses recueils (ce devait être Moi, les enfants, j’aime pas tellement). Tout à coup, j’ai eu l’impression qu’on me décillait les yeux et que moi qui me voulais héritière de Maupassant, je découvrais brusquement une autre approche de la nouvelle, une autre écriture, d’une modernité si absolue qu’on en restait abasourdi. Ma nouvelle Une histoire de bicyclette (réécrite en une nuit après cette lecture) lui doit beaucoup et quand le recueil N’aimer personne est paru, j’ai eu l’audace de le lui envoyer et de lui dire à quel point j’aimais ce qu’elle écrivait et me sentais redevable vis-à-vis d’elle. Incroyable mais vrai, elle m’a répondu et m’a fait beaucoup de compliments sur mon livre. J’en tremble encore d’émotion trente ans plus tard.
Je n’ai pas l’habitude de « personnaliser » autant une chronique mais avec Annie Saumont, impossible de faire autrement. Le peu de rapports que j’ai eus avec elle et la lecture presque complète de son œuvre ont définitivement infléchi ma carrière littéraire, si je peux employer ces grands mots. Pour le reste, plutôt que de paraphraser la 4e de couverture, pour une fois géniale, je me contenterai de la citer : « Chacun des récits dresse un tableau de la société d’une humanité poignante… Ses personnages, antihéros solitaires, racontent leur infortune [très souvent à la première personne, ce qui favorise l’empathie du lecteur, NDLR] avec une franchise désarmante… Mais c’est plus encore à son style qu’on reconnaît Annie Saumont : une langue minimaliste qui bouscule la grammaire, tord la syntaxe, bannit les virgules, se réapproprie les mots de la rue… ». Si on y ajoute « la concision extrême, la parfaite maîtrise de l’ellipse et l’art de la chute », on a la définition complète de la nouvelle idéale.
Nouvellistes en herbe, lisez, relisez Annie Saumont et imprégnez-vous de son écriture sans la parodier : dans son sillage, vous ferez des pas de géant. Lecteurs, régalez-vous, tout simplement. Une remarque : cet univers est très noir, mais cette noirceur n’est pas pénible à supporter, tant elle est feutrée, mise à distance par le procédé presque exclusif du narrateur (ou de la narratrice) interne qui raconte des horreurs sur un ton quasi neutre et sans avoir l’air de se rendre compte que ce sont des horreurs. Un art de l’allusion nimbée de pudeur, très difficile à manier, et dans lequel, à ma connaissance, personne n’a jamais atteint le niveau d’Annie Saumont.
Annie Saumont – Florilège – Julliard 2017
(actualisé le )